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Gilles Moëc

Gilles MoëcChef économiste chez AXA, directeur du AXA IM Research

1 décembre 2021

Perspectives macroéconomiques pour l’année 2022 : compression, décompression, absorption

Nous nous attendons à ce que la pression sur l’offre globale diminue graduellement, contribuant à un ralentissement de l’inflation. Ceci autoriserait les banques centrales à maintenir une approche prudentielle quant au rythme de normalisation de leurs politiques. Il est devenu inenvisageable de penser les perspectives macro sans considérer l’impact des la lutte contre le changement climatique. Pour les années 2022-2023, nous nous attendons à une contribution positive à la croissance, grâce à des efforts tangibles en termes d’investissement.

Outlook 2022

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Contenu Original: AXA IM

La baisse de la pression sur l’offre

 2020 aura été une année de contraction massive de l’activité économique. 2021 a été quant à elle une année de décompression rapide, avec un rattrapage de la demande à mesure que les marchés rouvraient, exerçant une pression significative sur l’offre et suscitant par là-même une augmentation des prix à la consommation jamais observée depuis des décennies. Dans l’hypothèse – bien sûr incertaine au moment où nous écrivons – où le variant Omicron n’entraîne pas un retour à des restrictions sanitaires de grande ampleur, nous pensons que 2022 sera une année d’absorption graduelle du choc dû à la pandémie, avec des chiffres de croissance robustes bien que moins spectaculaires, puisque le rattrapage est désormais derrière nous et qu’une normalisation des conditions de l’offre permette d’envisager un ralentissement de l’inflation.

Les perturbations persistantes de l’offre dues aux conditions sanitaires ont joué un rôle majeur dans l’émergence de goulots d’étranglement mondiaux, mais la demande a aussi joué sa part. Partout, les individus ont réorienté leur consommation de services vers les biens négociables, qui dépendent souvent de chaînes de valeur internationales longues et tortueuses. Cela a particulièrement été le cas aux États-Unis. Là-bas, pour le troisième trimestre 2021, les dépenses des ménages en biens de consommation ont augmenté de 15 % par rapport à l’avant-pandémie, la courbe la plus raide depuis 1947 et notre connaissance des chiffres. Étant donné le poids des États-Unis dans la consommation mondiale – 30 % en termes nominaux en 2019 –, cette « surabondance de biens » a eu un impact massif sur l’offre globale. En supposant que la pandémie n’entraîne plus de vaste compression des activités de services, ce phénomène devrait dorénavant être derrière nous. La consommation de biens aux États-Unis a reculé au troisième trimestre 2021.

Certains prix internationaux clés sont d’ores et déjà en baisse – par exemple le minerai de fer, le fret maritime – et on a parlé de débloquer les réserves stratégiques d’hydrocarbures, ce qui semble avoir fait plafonner les prix du pétrole. Cette amélioration en amont des pressions inflationnistes pourra amortir les prix à la consommation, et cela dépendra de la « course » engagée avec les effets escomptés sur le marché du travail.

Parmi les hypothèses cruciales de notre perspective, figure la normalisation du taux d’activité aux États-Unis, amortissant la pression sur les salaires. Nous pensons en effet qu’une part significative du déclin persistant tient aux effets prolongés de problèmes liés au COVID – en particulier autour de la garde d’enfants. En Europe, le rebond des problèmes d’embauche est encore largement un retour à des défaillances structurelles, la plupart du temps corrélées à une inadéquation entre l’offre et les compétences, mais au contraire des États-Unis, on n’observe aucun signe de revalorisation des salaires (graphique 1).

Graphique 1: Pas de chute de l’activité en Europe

Source: Bureau of Labor Statistics, OECD and AXA IM Research, November 2021

La divergence Nord/Sud des politiques publiques

Dans les économies avancées, les politiques économiques vont demeurer accommodantes. Il est vrai que les « paquets fiscaux », en particulier aux États-Unis, sont beaucoup plus restreints que ces deux dernières années. Mais une bonne part de la stimulation budgétaire a été « mise à l’abri » sous la forme d’une épargne des ménages excessive, ce qui a pu créer une réserve de demande bienvenue.

Alors que les banques centrales sont en train de réduire progressivement leur stimulus, notre sentiment est qu’elles vont rester prudentes, ce qui correspondrait à notre scénario d’une convergence graduelle de leurs desseins en termes d’inflation, après des taux encore élevés d’une année sur l’autre pour la première moitié de 2022. La première hausse des taux interviendrait seulement à la fin de l’année 2022 aux États-Unis, reflétant ainsi la volonté de la Réserve Fédérale de tolérer des débordements inflationnistes. Avec encore moins de pression endogène sur les prix, et un retard cyclique relatif par rapport aux États-Unis, nous pensons que cela prendra encore plus de temps pour la zone euro, et nous estimons que la Banque Centrale Européenne (BCE) ne relèvera pas ses taux avant 2023.

Pour ce qui est de la BCE, l’accent est moins mis sur la politique des taux que sur l’atténuation progressive puis l’arrêt du quantitative easing. Dans notre perspective, le « Pandemic Emergency Purchase Programme » (PEPP) arriverait à terme en mars 2022, mais serait en partie compensé par une recalibration du Programme d’achat d’actifs (APP) à hauteur de 40 milliards d’euros par mois jusque fin 2022 « au moins ».

Dans les pays émergents, en revanche, la crédibilité des banques centrales n’est pas aussi forte, et de fait elles ont été forcées d’opérer un resserrement monétaire significatif, ce qui a refroidi la demande. Dans certains des pays qui inversent actuellement la tendance – comme la Turquie, où la banque centrale a baissé ses taux –, les retombées sont massives en termes de dépréciation monétaire. Les marché émergents devront aussi faire face à des vents contraires du fait d’une demande chinoise moins importante, à laquelle ils sont plus sensibles que la plupart des économies avancées.

En effet, pour le coup la Chine ne joue plus le rôle de « machine à croissance globale ». Au contraire, Pékin tente de faire face à des années d’excès dans le secteur de l’immobilier, tandis que sa politique « zéro cas » face au Covid est potentiellement très dommageable à la reprise. Alors qu’un palier de 5 % de croissance est probable – et nous nous attendons à un assouplissement de politique pour 2022 – l’économie mondiale devra faire avec une demande chinoise inhabituellement molle.

Dans notre perspective, si le Covid reste un problème avec la persistance de « flambées » régulières dans l’une ou l’autre des régions économiques clés du monde, nous considérons néanmoins que la configuration de 2020-2021 va se prolonger, chaque vague épidémique se révélant moins nuisible à l’activité économique que la précédente. Pour l’Union européenne (UE) en particulier, nous pensons que le « modèle franco-italien », consistant à conditionner l’accès aux activités clés à la vaccination, sera adopté dans de plus en plus d’États membres initialement sceptiques, comme moyen à la fois de protéger l’économie contre un verrouillage de grande ampleur, et d’inciter à la vaccination (y compris au rappel) les citoyens hésitants.

Sur le front politique, les deux années à venir seront très animées. Dans notre perspective, les orientations politiques ne seront pas impactées matériellement par les résultats électoraux (pas de « bouleversement » dans le cadre des élections présidentielles françaises), mais les résultats des élections de midterm aux États-Unis pourraient évidemment entraîner une « paralysie politique » pour deux ans si les Républicains reprenaient le Congrès, ce qui correspond aux sondages à l’heure où nous écrivons. En 2023, on sera attentif aux élections en Espagne et en Italie, mais nous avons des doutes quant à une hypothétique élection générale en Grande-Bretagne.

Au-delà du Covid, les risques envisagés dans notre perspective sont probablement équilibrés. L’inflation pourrait s’avérer plus dure à contenir dans les économies avancées, ce qui pousserait à un durcissement de politique monétaire défavorable à la demande. Symétriquement, une normalisation plus rapide que prévue de l’excès d’épargne pourrait occasionner un nouveau choc positif pour la consommation.

La lutte contre le changement climatique comme coup de pouce à la croissance (pour l’instant)

Pour finir, nous pensons qu’il n’est pas possible d’élaborer une perspective macroéconomique sans prendre en compte l’impact de la lutte contre le changement climatique.

La COP26 n’aura pas suffisamment fait bouger les choses. Les objectifs intermédiaires affichés par les gouvernements pour 2030 n’effacent pas la perspective d’une hausse moyenne de la température de 2,4 °C d’ici la fin du siècle, selon le Climate Action Tracker. A l’exception de l’accord sur le méthane, qui va engendrer de nouvelles contraintes pour l’industrie des hydrocarbures, et peut-être de l’accord sur les forêts, aucune des annonces faites à Glasgow n’aura d’impact tangible sur le comportements des entreprises, et donc sur l’activité économique, l’échec le plus flagrant étant celui du projet d’une taxation du carbone à l’échelle mondiale. Car en effet, les investisseurs et les entreprises ont besoin de visibilité quant à la future trajectoire de la taxation du carbone.

Pour autant, nous aurions tort de considérer que la lutte contre le changement climatique n’a pas d’ores et déjà un impact sur l’économie. Elle est souvent perçue comme un coût. Mais la notion de coût est ambiguë quand il s’agit de décarboner le monde. Une partie essentielle du processus consiste à ré-allouer le capital dans des secteurs et des industries qui sont en cours de transition vers une économie zéro carbone. Ce qui entraînerait des destructions de capital dans des secteurs et des entreprises qui ne sont pas adaptés, mais la croissance est affaire d’investissement brut. Et l’effort d’investissement vers le zéro carbone sera massif et devient d’ores et déjà tangible. Grâce au programme de l’UE Next Generation, dont 30 % des fonds sont dédiés à la transition verte, associé aux initiatives nationales, on peut escompter un effort d’investissement à hauteur de 2 à 6 % de la croissance dans les pays clés de la zone euro entre aujourd’hui et 2026, pour la lutte contre le changement climatique. Maintenant, si l’on se tourne vers l’avenir, certaines mesures défavorables à la croissance devront aussi être prises en aval. Il va devenir tentant d’inciter des pays émergents ou développés récalcitrants à faire plus d’efforts vers la décarbonisation, en imposant une « taxe carbone » à la frontière aux importations de l’Union européenne. Ce qui aura un impact préjudiciable sur le pouvoir d’achat. La même logique s’applique si l’on étend la taxation du carbone à plus de secteurs au sein de l’UE. Il deviendra impossible d’éviter les effets néfastes sur le pouvoir d’achat des ménages. On applaudit souvent la transition, en Allemagne, vers les énergies renouvelables, mais leur développement s’est soldé par un prélèvement sur les factures d’électricité des ménages, qui à son sommet s’élevait à 1 % du revenu disponible. Pourtant, dans le cadre de notre état des lieux prospectif, il est probable que la lutte contre le changement climatique apporte une contribution positive à la croissance.

Avertissement

La version française est une traduction de l’article original en anglais, à des fins informatives exclusivement. En cas de divergences, l’article original en anglais prévaudra.

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