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Garance Wattez-Richard

Garance Wattez-RichardResponsable d’AXA Emerging Customers

18 janvier 2022

Etudier les finances des ménages à bas revenus peut contribuer à définir des filets de sécurité adaptés

En étudiant les contraintes financières des ménages les moins privilégiés, les assureurs peuvent répondre plus efficacement à leurs besoins en termes de protection et diminuer ainsi les risques de santé propres aux populations financièrement fragiles.

Lorsqu’elles sont confrontées aux risques quotidiens – d’une urgence médicale à un sinistre immobilier – les familles à bas revenus, et notamment dans les économies émergentes ou en développement, sont amenées à faire des choix coûteux. Si nous avons une vision d’ensemble de la pauvreté, nous devons néanmoins affiner l’idée que nous nous faisons des moyens de subsistance de ces familles pour mettre en place des solutions adéquates. En étudiant les contraintes financières qui pèsent sur les ménages les moins privilégiés, les assureurs peuvent plus efficacement combler les failles de leurs systèmes de protection et faire baisser les aléas de santé propres à ces populations fragiles.

On parle souvent des populations à bas revenus en termes de chiffres ; par exemple, combien de personnes dans tel ou tel pays vivent sur la base de 2$ par jour, ou 5$ par jour, et comment ces chiffres évoluent dans le temps. On estime qu’en 2021 le Covid-19 a fait basculer pas moins de 150 millions de personnes dans la pauvreté, dont un nombre croissant d’urbains rejoignant les pauvres ruraux.  [1] Or, pour mieux accompagner les personnes sous-assurées et mettre en œuvre des solutions adaptées qui répondent aux besoins des familles à bas revenus, nous avons besoin de plus que des chiffres. Nous avons besoin de comprendre comment le fait de posséder très peu de biens influence les comportements et les attitudes – c’est-à-dire, comment les familles vivant au bord de la rupture essaient de s’en sortir et vers qui elles se tournent en cas de besoin.

Stuart Rutherford, un sociologue de Manchester, a été l’un des premiers chercheurs à changer de focale, passant du macro au micro, afin de comprendre, selon ses propres termes, comment les pauvres « créent des stratégies, cherchent des compromis, et évaluent les opportunités ». Il est à l’avant-garde d’une méthodologie de recherche intensivement qualitative, qui se concentre sur les données de base de la pauvreté au quotidien : il s’intéresse à des familles individuelles dans différentes communautés, à qui il rend régulièrement visite en consignant les détails de leurs revenus, de leurs dépenses et de leurs accidents de la vie dans des journaux très précis, qu’il appelle des Carnets Financiers.

Après que Rutherford et ses collègues ont publié leur influent opus, Portfolios of the Poor, en 2009, un certain nombre d’études subséquentes ont adopté la méthodologie des Carnets Financiers dans divers domaines. Dans le monde de la finance, cette recherche a aidé les entreprises à adapter leurs produits aux consommateurs à bas revenus, à travers une meilleure compréhension de la manière dont les ménages possédant peu de ressources utilisent ces ressources, et en identifiant les lacunes les plus importantes [2].

L’étude des Carnets Financiers de plusieurs communautés d’Afrique sub-saharienne nous a procuré des renseignements très intéressants concernant les familles à bas revenus lorsqu’elles sont affectées par une crise. Par exemple, parce que la priorité n’est pas donnée aux soins de santé non urgents – check-ups réguliers, interventions anticipées –, les problèmes de santé qui auraient pu demeurer peu coûteux à traiter au départ deviennent des enjeux potentiellement mortels et financièrement onéreux. Les familles auront tendance à économiser sur le diagnostic, et iront plutôt acheter des médicaments. Diagnostic et prévention sont délaissés au profit de la gestion de crise. Ce phénomène, que nous appelons « taxe sur la qualité », impacte de manière disproportionnée les populations à bas revenus. Les prestations de santé délivrées tardivement aux plus vulnérables tendent à se révéler à la fois coûteuses et tragiques.

En 2015, l’étude des Carnets Financiers américains [3] a reproduit cette méthodologie dans le contexte américain, par la biais d’une enquête concernant plus de 200 235 foyers à bas ou moyens revenus pendant une année. Elle a démontré qu’un ménage sur cinq a fait face à des dépenses de santé remboursables, pour des montants avoisinant 3 000$ sur l’année, et que beaucoup plus de foyers ont renoncé aux soins médicaux pour des raisons finincières. Cette étude a contribué à en identifier l’une des principales causes : dans un contexte d’inflation des coûts de santé, les entreprises ont se sont mises à proposer aux « cols bleus » des plans d’assurance santé à moindre coût, avec des franchises qui ont plus que doublé.

L’accès aux soins va au-delà de la simple assurance : c’est aussi une question d’accès au conseil médical, de sorte que les patients puissent s’y retrouver dans les méandres du parcours de santé. C’est une question d’éducation et de réceptivité. Certaines solutions digitales sont particulièrement efficaces pour atteindre des populations rurales qui n’ont pas accès à des services de santé physiques, et elles sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important pour toutes les communautés, où qu’elles se trouvent.

Les solutions digitales pourraient également pallier les défaillance en termes de santé dans des pays à moyens revenus tels que la Chine. Alors que 95 % de la  population a accès à une couverture santé universelle, le système demeure fragmenté, puisque la couverture varie selon qu’on habite en ville ou en zone rurale, et que les co-paiements oscillent de 30 à 60 % selon la géographie et le traitement. [4]. Exactement comme en Afrique sub-saharienne, les familles à bas revenus en Chine rurale peuvent « dé-prioritariser » les soins de santé non urgents, avec au bout du compte des conséquences aggravées. A la lumière de ces observations, des institutions comme la Banque mondiale, et désormais AXA, sponsorisent des projets de Carnets Financiers. Ces études révèlent d’ores et déjà que l’accès aux consultations online peut améliorer les comportements disposés aus soins pour les problèmes de santé mineurs, ce qui peut contribuer à prévenir la maladie avant qu’elle ne s’aggrave.

L’assurance inclusive est un retour aux principes de base qui guidaient le secteur à l’époque des toutes premières sociétés mutualistes dans l’Angleterre du XVIIe siècle : l’assurance par les gens, pour les gens. Si nous parvenons à mettre en œuvre des solutions simples et peu onéreuses que l’on puisse expliquer en 30 secondes, sans petits caractères, nous pouvons contribuer à sortir des millions de familles à bas revenus du cercle vicieux de la sous-protection.

Les Carnets Financiers ont fait la démonstration de leur utilité pour concevoir des solutions efficaces tant pour les pays à bas ou moyens revenus que pour les pays à hauts revenus. Nous devons être attentifs aux inégalités de richesse grandissantes, ainsi qu’à une insécurité financière de plus en plus fréquente ; à cet égard, les méthodologies des Carnets Financiers peuvent aider à fonder un système de protection qui fonctionne pour tous.

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