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31 mars 2022

Égalité des genres : les défis à venir pour relancer le mouvement. De la « She-cession » à la « She-recovery »

La crise de Covid-19 a lourdement pénalisé les secteurs à dominante féminine, provoquant une sorte de récession féminine (« she-cession ») qui alourdit encore les défis posés par l’égalité entre les sexes. Lors d’une conférence qui s’est tenue le 7 mars 2022, après la présentation des résultats des recherches menées en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni et aux USA, des chefs d’entreprise et des décideurs politiques ont évoqué ensemble les mesures et initiatives nécessaires à la reprise. Cet événement a été organisé par l’Université Bocconi et AXA dans le cadre du Laboratoire de Recherche AXA sur l’égalité des genres, et soutenu par AXA Italie et le Fonds AXA pour la Recherche. Le replay de la vidéo et la retranscription de cette conférence sont à retrouver ci-dessous.

Original Content: AXA Research Fund

1e PARTIE : APERÇU DES RECHERCHES

Après les discours d’ouverture de Gianmario Verona, Recteur de l’Université Bocconi, et de Giacomo Gigantiello, CEO d’AXA Italie, quelques mots de bienvenue ont été prononcés par Pina Picierno, Vice-Présidente du Parlement européen. « L’égalité entre les sexes est essentielle pour l’avenir de nos économies et pour l’avenir de l’Europe », a-t-elle déclaré dans un message préenregistré. « Plus personne ne peut nier l’importance de l’égalité des sexes. »

Italie

Paola Profeta, Professeur d’économie publique et Directrice du Laboratoire de Recherche AXA sur l’égalité des genres à l’Université Bocconi, a été la première à partager les conclusions de ses travaux les plus récents, qui ont été menés en Italie, pays où le taux d’emploi des femmes est l’un des plus faibles d’Europe (49 % avant le Covid-19). De plus, 84 % de la population active féminine se concentre dans le secteur tertiaire, qui a été le plus durement touché par la pandémie.   

En Italie, ce sont principalement des femmes qui sont chargées des soins informels destinés aux enfants et aux personnes âgées, en raison surtout des stéréotypes de genre, ainsi que d’une offre déficitaire de ce type de soins pour les jeunes enfants. La généralisation du télétravail durant la crise sanitaire a provoqué une plus forte implication des hommes dans les tâches ménagères et dans les prestations de soins ; si l’on peut espérer que cela induise une répartition moins traditionnelle des tâches liées au genre et, à long terme, réduise les inégalités entre les sexes, il n’en reste pas moins que les femmes, avec le travail à distance, ont toutefois assumé davantage de tâches ménagères et familiales. « On peut en conclure que les écarts entre les sexes ne se réduisent pas vraiment. En réalité, ils se sont même légèrement creusés par rapport à la situation pré-pandémique », ajoute le professeur Profeta. 

Elle observe également que les mesures mises en place durant la pandémie, censées être neutres en termes de genre, ne l’étaient absolument pas. Par exemple, les écoles sont restées fermées plus longtemps dans les pays où la proportion de femmes sur le marché du travail est plus faible, comme en Italie, et les congés parentaux ont été essentiellement posés par des femmes. Le professeur Profeta en conclut que « ces politiques ont peut-être exacerbé des écarts préexistants entre les sexes ». En raison de la difficulté accrue à trouver un nouvel emploi, les femmes sont aussi de plus en plus exposées à des environnements professionnels toxiques. « Nous risquons de perdre les améliorations qui ont été apportées au marché du travail, comme celles engendrées par le mouvement #MeToo et par les changements culturels qui sont intervenus au sein des entreprises », ajoute-t-elle.  

Enfin, le professeur Profeta a affirmé qu’atteindre l’équilibre entre les sexes aux postes de décision pourrait faciliter la reprise, en offrant une vision plus équilibrée des priorités. Dans le cadre d’une étude à grande échelle, elle a constaté que les femmes sont plus susceptibles d’accepter et de respecter les mesures restrictives, ce qui pourrait présager une plus grande efficacité de réponse de la part des femmes dirigeantes. Car c’est en effet dans les pays dirigés par des femmes que l’on observe le plus fort soutien en termes d’aides aux revenus et le moins de fermetures d’écoles. « Ce phénomène impacte l’égalité entre les sexes, puisque les femmes sont bien plus touchées que les hommes par la façon dont le travail est organisé à la maison », précise-t-elle. Les travaux préliminaires à cette étude ont également abouti à la conclusion que les femmes maires de petites municipalités italiennes consacrent un budget plus important au volet social. « La contribution des femmes se révélera donc particulièrement pertinente lorsqu’il s’agira de planifier la reprise après la pandémie », a conclu le professeur Profeta. 

Espagne

Une image plus complexe apparaît en Espagne. Alors qu’une forte baisse du taux d’emploi a été observée en 2020 dans les secteurs à prédominance féminine, d’autres professions ont bénéficié de la création de nouveaux emplois. Libertad González, professeur associé d’économie à l’Université Pompeu Fabra, est intervenue en visioconférence pour faire part de ses dernières conclusions : « Certains secteurs jusqu’alors en recul étaient essentiellement féminins, tout comme certains secteurs en développement. » Le secteur des ménages, par exemple, durement touché, est constitué à 88 % de femmes, tandis que ceux de la santé et des services sociaux, en pleine croissance, sont dominés à 76 % par des femmes. Dans l’ensemble, « la pandémie a touché les emplois des hommes et des femmes de manière très similaire », a déclaré le professeur González. « Dans le cas de l’Espagne, peut-on donc parler d’une she-cession ? »

Toutefois, l’augmentation de l’embauche dans les domaines des soins informels aux enfants et aux membres de la famille est corrélé au fait que les femmes espagnoles travaillent davantage en raison de la pandémie. Reprenant les conclusions de Paola Profeta, le professeur González constate que les hommes comme les femmes ont déclaré avoir consacré plus de temps à la garde de leurs enfants pendant la pandémie, mais plus particulièrement les femmes dont le temps de garde avoisinait 38,4 heures hebdomadaires, et qui étaient également plus susceptibles que les hommes de travailler à domicile. « Les femmes ont été impactées de la même manière que les hommes sur le marché du travail, mais le nombre d’heures qu’elles ont consacrées aux tâches ménagères durant la pandémie est significativement plus élevé : on peut considérer qu’elles ont quasiment eu un double-emploi à ce moment-là », ajoute le professeur González.

Selon les conclusions du professeur González, nous entrons dans une économie plus qualifiée, plus numérique et plus verte. Elle recommande donc de réorienter les employés peu qualifiés (comme dans les secteurs de l’hôtellerie ou des services ménagers) vers certains des secteurs les plus qualifiés et bénéficiant de la plus forte croissance. « Il faudrait également continuer à promouvoir la représentativité des femmes dans les STEM, afin qu’elles puissent profiter des secteurs en expansion de l’économie numérique. » En conclusion, le professeur González note que les mesures incitant les hommes à s’impliquer davantage dans la garde des enfants et dans les tâches ménagères vont être cruciales pour renforcer la place des femmes dans la population active. « Les politiques futures doivent promouvoir la flexibilité professionnelles tant chez les femmes que chez les hommes. Sans cela, nous serons face à une situation à double tranchant, qui risquerait de renvoyer les femmes à la maison tandis que les hommes resteraient sur le marché du travail. »

USA et Royaume-Uni

Outre la question de l’ « équité » (ce qui est « juste »), il faut également prendre en compte l’ « efficacité » pour s’efforcer d’obtenir une plus grande égalité entre les sexes. C’est le point qu’a choisi d’aborder Almudena Sevilla, professeur d’économie et de politique publique à l’UCL. « En répartissant mal les talents féminins, on risque de ne pas réaliser tout notre potentiel en tant qu’économie, en tant qu’entreprise ou en tant qu’individu.  Le courant économique dominant reconnaît désormais plus volontiers que c’est là une nécessité », déclare-t-elle. Par exemple, l’augmentation du PIB américain ces dix dernières années est liée en partie à l’arrivée massive de femmes et de travailleurs issus des minorités sur le marché du travail.

Grâce à l’analyse d’un grand nombre de données récoltées auprès de parents américains, le professeur Sevilla a constaté que le taux d’emploi était le même pour les hommes et les femmes en février 2020, mais qu’au mois de décembre de la même année, le nombre de postes occupés par des femmes était inférieur de près d’un million à ceux occupés par des hommes. « Si les proportions d’hommes et de femmes au sein de la population active convergent désormais, cela ne veut pas dire pour autant que les femmes n’ont pas été les plus durement touchées », explique-t-elle.  
Avant la pandémie, les inégalités étaient déjà prégnantes dans la répartition des tâches ménagères entre hommes et femmes. Les recherches du professeur Sevilla démontrent que les conséquences les plus significatives de la fermeture des écoles américaines sur les femmes perdurent encore aujourd’hui, et que la crise sanitaire a fait monter en flèche le temps consacré par les femmes au ménage et à la garde des enfants. Le scénario est le même au Royaume-Uni : au printemps 2020, le nombre d'heures consacrées par les femmes aux tâches ménagères et à la garde des enfants était supérieur à celui des hommes, alors que leur travail rémunéré était inférieur de moitié à celui de leurs homologues masculins.

Le professeur Sevilla a également soulevé la question de la pertinence du télétravail. Elle a constaté que les travail rémunéré, les tâches domestiques et les soins apportés aux enfants étaient tous effectués au même moment de la journée par les hommes et les femmes travaillant à distance. « Cela démontre que nous devons concevoir de nouvelles façons de réfléchir à la manière dont nous gérons le travail à domicile », ajoute-t-elle. Dans le secteur de la finance, le télétravail n’a pas modifié la structure du travail, mais les hommes tout comme les femmes ont insisté sur l’aspect plus imprévisible de la charge de travail. « Une imprévisibilité qui a augmenté de 10 %, et qui est associée à une volonté plus affirmée de quitter ce secteur, en particulier chez les femmes. »

La santé mentale en perspective

La pandémie a engendré des inégalités socio-économiques qui s’étendent également aux questions de santé mentale. Antimo Perretta, CEO d’AXA Europe et Amérique latine, a rejoint la conférence par vidéo pour présenter la nouvelle étude AXA, Mind Health Study 2022. Cette enquête, menée auprès de 11 000 participants, démontre que les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes à subir des troubles de la santé mentale : moins bien payées et davantage menacées par l’instabilité financière, elles sont plus susceptibles de se retrouver au chômage et disposent de moins de temps libre que leurs homologues masculins. En outre, « comme les hommes gagnent généralement davantage d’argent que les femmes, beaucoup d’entre eux ont trouvé logique, d’un point de vue financier, que ce soient elles qui restent à la maison pour s’occuper des enfants pendant la pandémie. La dégradation de la santé mentale des femmes est donc une conséquence des inégalités structurelles qui prévalaient déjà avant la crise sanitaire », ajoute le professeur Perretta, avant de rappeler la création du AXA Mind Health Index : ce nouvel outil de mesure du bien-être global, qui s’appuie sur des services de soutien psychologique déjà mis en place par AXA, a été conçu pour aider les entreprises, les professionnels de la santé et les gouvernements à surveiller et à agir pour la santé mentale grâce à des mesures proactives et préventives.

2e PARTIE : VERS LA REPRISE : TABLE RONDE

Lors de cette deuxième table ronde, plusieurs chefs d’entreprise et décideurs politiques ont évoqué les mesures et les actions à mettre en place pour renforcer la représentativité professionnelle des femmes. Cette discussion avait pour modérateur Dario Donato, journaliste à Mediaset TGCOM24, et les intervenants incluaient notamment :  

·         Ginette Azcona, Research and Data Specialist, ONU Femmes

·         Silvia Candiani, CEO, Microsoft Italy

·         Kirsty Leivers, Responsable du programme Culture, Inclusion et Diversité, AXA

·         Marina Mendes Tavares, Economiste, FMI

Existe-t-il des crises qui ne soient pas sexistes ?

Ginette Azcona : Les répercussions des crises ne sont jamais neutres en termes de genre, et la crise de la Covid-19 ne fait pas exception à la règle. De récentes projections montrent que les femmes ont été particulièrement touchées par les retombées économiques et sociales de la pandémie en termes de pauvreté, de baisse des taux d’emploi (4,2 % pour les femmes contre 3 % pour les hommes) ainsi que d’état général de santé et de bien-être, notamment l’accès aux services de planification familiale. Le nombre de violences à l’égard des femmes et des jeunes filles (la « pandémie de l’ombre ») a également augmenté dans de nombreuses régions. Si elles ne sont pas inédites, les inégalités entre les sexes ont été creusées par la Covid-19 ; les gouvernements et les entreprises doivent répondre à cette problématique par des politiques en faveur de l’égalité hommes-femmes.   

Le télétravail pourrait-il être une solution ?

Kirsty Leivers : Peut-être, mais il pourrait aussi aggraver la situation. La crise sanitaire nous a offert l’opportunité de remodeler notre façon de travailler en adoptant de bonnes habitudes. Tout le monde n’a pas la même conception d’une méthode de travail « intelligente » : AXA, par exemple, est présent dans 54 pays et ses collaborateurs sont d’une incroyable diversité. Lorsque nous avons l’opportunité de construire un environnement professionnel plus égalitaire, ce choix doit relever d’un acte délibéré. Il faut éviter, entre autres, de créer un système à deux vitesses, où les hommes se rendraient au bureau tous les jours tandis que les femmes, elles, travailleraient à distance. 

L’expression « she-cession » est-elle née à la suite de la pandémie de Covid-19 ?

Marina Mendes Tavares : En fait, cette expression a été inventée pendant la crise financière mondiale de 2008, pour faire référence à l’écart existant entre les hommes et les femmes. Durant la crise de 2008, les secteurs les plus touchés étaient dominés par des hommes, d’où le terme de « he-cession » (récession masculine).  La crise actuelle impacte surtout le secteur des services, majoritairement féminin : il s’agit donc d’une « she-cession » (récession féminine).

Quelles sont les conséquences de la pandémie pour les personnes travaillant dans le domaine des technologies ?

Silvia Candiani : Nous n’avons pas tous les mêmes préférences. Chez Microsoft, environ 76 % du personnel souhaiteraient maintenir le télétravail. Certains estiment au contraire que leurs facultés de concentration sont plus élevées au bureau qu’à la maison. Nous laissons à nos collaborateurs une liberté totale d’organisation de leur travail, tout en leur recommandant d’élaborer avec leurs managers une sorte de charte concernant la manière la plus efficace de travailler. Il nous faut également veiller à ce que nos collaborateurs en télétravail continuent à se sentir inclus et qu’ils puissent profiter des mêmes opportunités que les autres. Grâce à cette organisation, nous avons constaté chez Microsoft une augmentation de près de 20 % de la productivité ; mais le travail à distance peut également générer un sentiment d’inutilité et de manque d’appartenance à une équipe.

En quoi la pandémie a-t-elle impacté les objectifs des Nations-Unies pour atteindre l’égalité entre les sexes d’ici 2030 ?

GA : La crise sanitaire a malheureusement freiné, et parfois même inversé, la courbe du progrès dans ce domaine. Diverses études démontrent que nous ne sommes pas sur la bonne voie pour atteindre l’égalité des sexes à l’horizon 2030. Des progrès ont été réalisés pour lutter contre les lois et les pratiques discriminatoires, mais c’est encore loin d’être suffisant.  Les mariages forcés sont également en progression depuis l’apparition de la Covid-19, ce qui est dramatique. Mais on peut se réjouir, d’un autre côté, que les conclusions de certaines études démontrent que les entreprises commencent à prendre des mesures concrètes pour s’attaquer à ces problèmes, car les données révèlent que l’inégalité au sein du foyer se traduit souvent par une inégalité de salaire et d’avancement professionnel.

Quelles mesures politiques devraient être prises pour inverser cette tendance ?

GA : Il faut d’abord que l’autonomisation des femmes devienne une valeur fondamentale, car lorsque les femmes réussissent, c’est toute la société qui réussit. Les entreprises peuvent agir en proposant des horaires et des lieux de travail flexibles, mais aussi en promouvant des mesures qui feront vraiment la différence, comme l’augmentation des prestations en cas de congé maternité ou de congé parental et un accès plus facile aux congés d’urgence. Dans de nombreux pays, nous préconisons la réforme, voire la suppression, des lois discriminatoires qui empêchent les femmes de travailler dans certains secteurs. Il faudrait également instaurer une obligation de transparence en termes de salaires des hommes et des femmes. 

MMT : En Espagne, en Italie ou au Royaume-Uni, les femmes ont repris le travail, mais ce n’est pas le cas dans les marchés émergents et les pays à faibles revenus, où la situation est différente : il s’agit là, véritablement, de ramener les femmes sur le marché du travail.

Comment cela serait-il possible dans les économies émergentes ?

MMT : En investissant prioritairement dans l’éducation et les opportunités offertes aux femmes. Dans les pays en développement, les filles doivent aller à l’école et y rester. En cela, le planning familial et la santé des femmes sont deux axes essentiels, qui ont souvent été négligés pendant les confinements successifs ; de nombreuses femmes ont subi des violences durant ces périodes, et ne disposaient d’aucun endroit sûr où s’abriter. Ce qui rejoint le point soulevé précédemment par le professeur Profeta : comme les femmes n’ont pas pris part au processus de décision, les services jugés essentiels, et donc susceptibles d’être maintenus, ont été choisis avec une optique très masculine. Nous avons besoin d’une participation plus égalitaire dans le secteur privé comme dans l’élaboration des politiques publiques.

La prise de décision au sein du foyer a-t-elle également des enjeux culturels ?

MMT : Dans de nombreux pays, l’absence d’économie domestique suppose que quelqu’un – la femme, en général – doive passer un certain nombre d’heures à s’occuper des enfants. La répartition des tâches au sein du foyer est un problème supplémentaire ; si les hommes se sont davantage impliqués dans les tâches ménagères au moment des confinements, aucune donnée n’indique que cette implication se soit maintenue…

GA : Par ailleurs, de nombreuses femmes ont décidé de rester à la maison, pas nécessairement pour des raisons culturelles, mais à cause des politiques et des inégalités préexistantes à cette décision. Par exemple, si l’homme gagnait un salaire plus élevé et était plus avancé dans sa carrière professionnelle, il était plus logique pour lui de continuer à travailler. Les inégalités dans les rémunérations ainsi que dans l’accès aux postes de direction viennent s’ajouter à celles que l’on constate déjà dans la répartition des tâches domestiques.

Existe-t-il un risque d’inversion du marché du travail ?

KL : La prochaine étape pourrait se révéler plus délicate encore du point de vue de la main-d’œuvre, et les choix que nous faisons actuellement pourraient affecter notre façon de travailler pour les cinquante prochaines années. Au moment où nous pouvons reconstruire nos modèles de travail, trois possibilités s’offrent à nous. Premièrement, revenir à l’ancien état des choses. Deuxièmement, aggraver les choses sans le vouloir, et renforcer cette dichotomie. Troisièmement, recréer des lieux de travail plus égalitaires, offrant l’accès à l’emploi à un éventail de profils beaucoup plus large. Selon moi, c’est une erreur de croire que le modèle « 2 jours au bureau, 3 jours à la maison » est la solution au problème. Il faut tester, expérimenter, discuter, collaborer pour parvenir à trouver le modèle professionnel qui nous convient.

La technologie peut-elle renforcer l’inclusion ?

SC : J’en suis convaincue, avant tout parce que la technologie permet une plus grande flexibilité, ce qui était, déjà avant la pandémie, une exigence de la part des femmes soucieuses de mieux conjuguer leur vie privée et professionnelle. De plus, nous devons être très résolus dans notre façon d’organiser notre temps, et la technologie peut nous y aider en nous offrant de nouvelles perspectives et de nouveaux outils. La collecte de données peut par exemple permettre aux managers de dresser un « état de santé » de leurs équipes, en termes de modes de collaboration, d’efficacité mais aussi de temps de repos. Le fait d’être « connecté » en permanence participe également de l’épuisement professionnel ; des alertes rappelant qu’il est temps de faire une pause ou un peu d’exercice physique pourraient être d’une grande utilité, surtout à présent que nous sommes nombreux à travailler à la maison, loin du regard des autres.

Y a-t-il tout de même un aspect positif ?

GA : Oui, notamment le fait que l’inégalité entre les sexes fait désormais l’objet d’une attention accrue. La Covid-19 nous a également démontré qu’il existe différentes manières de faire les choses, et nous sommes désormais plus ouverts à des idées jusqu’ici inédites, comme la transparence des salaires. Les gouvernements sont de plus en plus nombreux à réfléchir sérieusement à la manière d’épauler au mieux les parents qui travaillent – hommes et femmes –, en rendant plus abordables des services de garde d’enfants de qualité, et en prenant des mesures plus inclusives en termes de congés payés, des sujets qui sont mis sur la table pour la première fois ans de nombreux pays. 

Quel est le rôle de l’éducation dans l’instauration d’une plus grande égalité des chances ?

MMT : L’éducation est essentielle pour parvenir à combler le fossé entre les sexes. Dans les économies avancées – et parfois même dans certaines économies émergentes -, les filles sont déjà plus instruites que les garçons. Pour reprendre les thèses du professeur Sevilla, nous disposons d’un important contingent de filles instruites et éduquées, et d’un réel effort d’investissement dans le capital humain. Pourtant, comme l’a précisé le professeur Profeta, les femmes ne représentent que 49 % du marché du travail en Italie. Nous devons inciter des femmes étrangères ayant achevé leur formation à nous rejoindre, encourager les filles à mieux réfléchir à leurs perspectives professionnelles et, dans les pays les moins développés, apporter un soutien concret aux familles ainsi qu’aux infrastructures essentielles.

SC : J’ajouterais que le secteur des STEM, qui propose désormais davantage de postes très demandés, pourrait offrir aux femmes des possibilités intéressantes et des emplois mieux rémunérés. Puisqu’il n’y a pas assez de diplômés dans ces disciplines, une formation complémentaire pourrait inciter les gens à se reconvertir et à s’adapter au marché du travail. On constate souvent un écart important entre l’offre et la demande dans ces métiers : en Italie, 1 500 postes restent vacants en raison du manque de personnes qualifiées, alors que le taux de chômage atteint 35 % chez les jeunes. C’est un vrai gâchis de talents.

La formation aux disciplines STEM pourrait-elle remédier au problème ?

SC : Même si cela ne suffira probablement pas, il faut attirer davantage de monde dans les STEM, et en particulier des femmes. Seuls 20 % des étudiants dans ces disciplines sont des femmes, et ce chiffre n’augmente pas. Les jeunes filles doivent pouvoir se référer à des modèles et comprendre qu’embrasser une carrière dans les STEM, c’est avoir une chance de réellement transformer le monde. Les entreprises, quant à elles, doivent s’impliquer davantage dans la création de parcours professionnels et prôner l’égalité des chances, pour aider les femmes à exprimer tout leur potentiel. 

Quelles sont les mesures prises par AXA en termes de réaménagement de ses espaces de travail et de ses effectifs ?

KL : Nous avions déjà commencé à mener des études à grande échelle sur le télétravail avant la pandémie, mais sans la Covid-19 il nous aurait fallu vingt ans pour en arriver là où nous sommes aujourd’hui. Nous avons vécu une parenthèse qui a prouvé qu’il nous était possible de travailler à distance. Il faut maintenant le faire de manière durable – la période de pandémie n’a pas vraiment constitué un modèle de travail hybride, car il s’agissait d’une véritable période de crise. Cette « parenthèse » dans le monde du travail a été une véritable chance, et il nous appartient désormais d’aller plus loin, de façon plus équitable et plus juste.

En guise de conclusion

Elena Bonetti, la ministre italienne de l’Egalité des chances et de la Famille, a fait remarquer pour conclure que si la pandémie a créé et aggravé certaines inégalités, elle a aussi constitué une occasion unique de reprise et de croissance. « Pour parvenir à une égalité totale, il faut un programme d’ampleur mondiale et une coordination multilatérale », a-t-elle ajouté. La ministre a ensuite évoqué certaines des mesures prises par le gouvernement italien, notamment les politiques de soutien à l’emploi et à l’entreprenariat féminin, les mesures éducatives, le partage des responsabilités en matière de soins et l’égalité des chances dans la promotion des compétences, en particulier dans les disciplines STEM. « Notre ambition est claire : faire de l’Italie, de l’Europe, de notre communauté internationale un lieu où les personnes de tous les sexes, de tous les âges et de toutes les origines auront les mêmes possibilités de développement personnel et professionnel ainsi que d’accès à l’éducation et à l’emploi, sans injustices en termes de rémunération ou de dignité », a-t-elle conclu.

 

La version française est une traduction de l’article original en anglais, à des fins informatives exclusivement. En cas de divergences, l’article original en anglais prévaudra.

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