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26 mars 2021

Quand l'Homme crée des tremblements de terre

Par Aurélien BOISELET, géophysicien, expert en risque sismique chez AXA Climate

Contenu Original : AXA Climate

Les activités humaines ont un impact sur le climat, mais peuvent-elles aussi avoir un impact sur les phénomènes sismiques ? Leurs conséquences ne se limitent pas à des événements mineurs ou aux zones déjà actives sur le plan sismique. Cette sismicité induite par l’homme peut également modifier notre vision à court terme du risque de tremblements de terre.

Historiquement, le centre des États-Unis est resté relativement calme en termes d'activité sismique, avec une moyenne de 25 séismes de magnitude supérieure ou égale à 3 (M >=3) entre 1973 et 2008. Toutefois, depuis 2009, ce taux a augmenté de façon spectaculaire, dépassant 600 séismes de M >=3 par an entre 2014 et 2016, avec un pic de 1 010 événements en 2015 (document 1). Le séisme survenu à Pawnee, Oklahoma, en 2016 a été le plus intense : il a libéré une énergie correspondant à une magnitude de 5,8, ce qui est suffisant pour provoquer de graves dommages matériels.

Document 1 : Répartition des séismes dans le centre des États-Unis pour la période 1973 - 2019 (USGS). En bleu, les séismes survenus avant 2009 et les activités de fracturation hydraulique, en rouge ceux survenus après 2009 avec fracturation hydraulique en cours.

Pour comprendre ce qui s'est passé en Oklahoma, il est nécessaire de revenir sur les causes des séismes, qui sont généralement engendrés par la rupture de roches le long des frontières des plaques tectoniques, où le mouvement des plaques provoque une forte pression. Mais le centre des États-Unis n'est pas situé près d'une frontière de plaque (document 2) et l'augmentation observée de la sismicité est très brutale par rapport à l'échelle habituelle des temps géologiques (de plusieurs milliers à plusieurs millions d'années). Quelle est donc l'origine de cette évolution si soudaine ?

Document 2 : Sismicité mondiale de magnitude >= 4 et tectonique des plaques avec vitesse moyenne de déplacement en mm (a)

Cette augmentation importante de la sismicité est directement liée au développement des opérations de fracturation hydraulique (générées et produites dans le cadre de l'extraction de pétrole et de gaz) dans cette région. Les liquides rejetés peuvent impacter la pression en profondeur et modifier la contrainte effective le long des failles sismiques, provoquant la hausse de l'activité sismique. Le document 3 souligne la corrélation entre la localisation de l'activité sismique et les volumes d'eau injectés (Hincks etal. 2019).

Document 3 : Carte montrant le volume total injecté (bbl) de 2011 à 2015 (densité de noyau gaussien de 30 km). Les symboles indiquent les emplacements des tremblements de terre de 2011 à 2016, y compris les événements du 5 novembre 2011 à Prague et du 3 septembre 2016 à Pawnee (voir source 6).

Les séismes déclenchés par l'activité humaine n'ont pas seulement été observés aux États-Unis, mais aussi en Europe et en Asie. Ces événements sont plus souvent causés par les activités de l'industrie géothermique que par les techniques de fracturation hydraulique. Un liquide est injecté sous pression dans le sol, où la température naturellement élevée de la croûte terrestre permet de le réchauffer. Cette méthode est utilisée pour produire de l'électricité ou des solutions de chauffage. En général, les événements sismiques engendrés par ces interventions sont imperceptibles par l'homme, mais ils peuvent parfois atteindre une magnitude de 3 à 3,5. Ce fut le cas en décembre 2020 près de Strasbourg (dans l'est de la France), ou en 2006 à Bâle, en Suisse, entraînant des dégâts mineurs mais de grosses frayeurs. Un tremblement de terre lié aux activités géothermiques s'est également produit en 2017, près de la ville de Pohang en Corée du Sud, avec une magnitude de 5,4, faisant 135 blessés et causant une perte de 290 millions de dollars (Grigoliet al. 2018, https://www.nature.com/articles/d41586-019-00959-4). Ce genre d'événements peut conduire à la suspension, voire à l'arrêt de l'exploitation en raison de la pression publique, comme ce fut le cas pour le projet d'exploitation géothermique de la ville de Bâle.

En 1967, un tremblement de terre de magnitude 6,6 a eu lieu dans la région de Koyna, en Inde, à proximité d'un barrage important. Cet événement s'est produit dans une région stable d'un point de vue sismique, où aucune activité sismique forte n'avait été signalée dans le passé. C'est après le remplissage du réservoir en 1962 que de petits mais fréquents tremblements de terre ont commencé à se produire, en particulier près du site du barrage (Chopra et Chakrabarti, 1973). Ces séismes ont été provoqués par des changements de masse ou de volume qui ont modifié la pression exercée sur une faille, facilitant ainsi la rupture. Le plus grand séisme suspecté d'avoir été causé par des activités humaines est associé au remplissage rapide du réservoir du barrage de Zipingpu en Chine (magnitude 7,9 en 2008 ; Sunet al. 2014, Grigoli et al. 2017). Cependant, comme cette région est caractérisée par une importante activité sismique, il est difficile de déterminer avec certitude si le remplissage du réservoir a bien été le déclencheur de ce séisme.

Document 4 : La sismicité provoquée et déclenchée par l'activité humaine a été observée dans le monde entier parallèlement à plusieurs activités industrielles. Ce document montre la répartition globale de la sismicité induite par l'Homme et la magnitude maximale observée sur chaque site (voir source 5).

Ces événements sismiques sont de plus en plus fréquents avec la multiplication des projets industriels et sont rapportés sur tous les continents (document 4). Les sites et les projets industriels liés à cette sismicité font désormais l'objet d'une surveillance plus poussée pour évaluer au mieux ce risque. Depuis 2016, l’Institut d’études géologiques des États-Unis (US Geological Survey - USGS) produit même des modèles de sismicité induite à court terme donnant la probabilité de dommages sismiques sur un horizon d'un an pour tout le territoire américain, ce qui change radicalement la vision classique du risque sismique, basée sur un horizon de 50 ans. Selon cette étude, la région autour d'Oklahoma City présenterait un risque plus élevé que la Californie (document 5).

Document 5 : Carte montrant les risques de dommages dus à un tremblement de terre dans le centre et l'est des États-Unis en 2018 (b)

Les activités humaines peuvent avoir des conséquences réelles sur les phénomènes sismiques, divers mécanismes impactant les contraintes exercées sur les roches. Aujourd'hui, le changement climatique entraîne la disparition de grands glaciers et de nappes glaciaires, modifiant la répartition de la masse sur la croûte terrestre, et les scientifiques surveillent de près l'impact que cela pourrait avoir sur la sismicité locale (Crowley et al. 2019, Cremen et al.2020, Smith et al. 2020).

Pour plus d'informations, contactez Aurélien BOISELET, géophysicien, expert en risque sismique chez AXA Climate, aurelien.boiselet@axa.com.

Sources :
(1) Chokra A.K., Chakrabarti P. (1973), “The Koyna earthquake and the damage to Koyna dam.”, Bulletin of the Seismological Society of America, Vol63, No 2, pp. 381-397.
(2) Cremen G., Werner M., Bapti B. (2020), “A New Procedure for Evaluating Ground‐Motion Models, with Application to Hydraulic‐Fracture‐Induced Seismicity in the United Kingdom”, Bulletin of the Seismological Society of America, 110 (5): 2380–2397.
(3) Crowley, H., Pinho, R., van Elk, J. et al., “Probabilistic damage assessment of buildings due to induced seismicity”, Bull Earthquake Eng17, 4495–4516 (2019). https://doi.org/10.1007/s10518-018-0462-1
(4) Grigoli, F., S. Cesca, E. Priolo, A. P. Rinaldi, J. F. Clinton, T. A. Stabile, B. Dost, M. G. Fernandez, S. Wiemer, and T. Dahm (2017), “Current challenges in monitoring, discrimination, and management of induced seismicity related to underground industrial activities: A European perspective”, Rev. Geophys., 55, 310–340, doi:10.1002/2016RG000542.
(5) Grigoli, F., Cesca, S., Rinaldi, A. P., Manconi, A., López-Comino, J. A., Clinton, J. F., ... & Wiemer, S. (2018), “The November 2017 Mw 5.5 Pohang earthquake: A possible case of induced seismicity in South Korea”, Science, 360, 1003-1006.
(6) Hincks T., Aspinall W., Cooke R. and Gernon T. (2018), “Oklahoma's induced seismicity strongly linked to wastewater injection depth.”, Science, Vol.359, Issue 6381, pp. 1251-1255, DOI: 10.1126/science.aap7911
(7) Smith J., White R., Avouac JP, Bourne S. 2020, “Probabilistic earthquake locations of induced seismicity in the Groningen region, the Netherlands”, Geophysical Journal International, Volume 222, Issue 1, July 2020, Pages 507–516,
(8) Sun Y., Zhang H., Dong SW., Zheng L., Zhang B., Cheng H.H., Shi Y.L. 2014, “Study on the effect of zipingpu reservoir on the occurrence of 2008 wenchuan ms7.9 earthquake based on a 3d-poroelastic model”, Chinese Journal Of Geophysics Vol.57, No.2,2014, pp: 209–218

(a) https://www.iris.edu
(b) https://www.usgs.gov/natural-hazards/earthquake-hazards/science/short-term-induced-seismicity-models?qt-science_center_objects=0#qt-science_center_objects

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