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Suzanne BOURGAULT, Climate Risk & Adaptation Consultant chez AXA Climate

Suzanne BOURGAULT, Climate Risk & Adaptation Consultant chez AXA ClimateMélodie TROLLIET, Climate Risk Analyst chez AXA Climate

24 juin 2022

Vagues de chaleur record en Inde et au Pakistan : une « nouvelle normalité » ?

Il est urgent de prendre des mesures d’atténuation et d’adaptation, car certaines régions du globe sont déjà en train de devenir inhabitables avec un réchauffement de 1,1 °C. N’attendons pas d’être à +2,2 °C pour agir !

Contenu Original : AXA Climate

Qu’est-il en train de se passer en Inde et au Pakistan ?

En 2022, l’Inde a connu son mois de mars le plus chaud depuis les premiers relevés effectués par le département météorologique indien, il y a plus de 122 ans (1). Un record qui s’est manifesté par une vague de chaleur historique, qui s’est abattue sur le pays, ainsi que sur le Pakistan, pendant plusieurs semaines, avec des températures caniculaires dépassant parfois 42°C. A Jacobabad, dans la province pakistanaise du Sindh, au sud du pays, elles ont même approché les 50 °C (2). Particulièrement violente, cette vague de chaleur se distingue des précédentes par sa précocité (historiquement, ces températures extrêmes se manifestaient plutôt en mai et en juin), et surtout par sa durée excessivement longue.

Qu’en dit la science ?

Les régions tropicales que sont l’Inde et le Pakistan sont coutumières des hautes températures. C’est lorsque ces dernières dépassent 40 °C dans les plaines, ou lorsqu’elles sont de 4.5 °C à 6.4 °C supérieures à la normale, que le ministère indien déclare la présence d’une vague de chaleur. Ces vagues de chaleur sont considérées comme intenses dès lors que les températures sont supérieures de 6,4 °C à la normale ou qu’elles atteignent 47 °C. C’est cette situation dramatique que la plupart des régions de l’Inde et du Pakistan ont vécue au cours des deux derniers mois.

Quels sont les effets d’une chaleur extrême sur la santé ?

Pour bien comprendre ces impacts, il faut tenir compte de l’humidité relative et de la température de l’air pour établir ce que l’on appelle l’indice de chaleur (3). En effet, le bon fonctionnement des organes vitaux de notre corps est assuré par un système de refroidissement particulièrement efficace : la transpiration. Si l’humidité relative est trop élevée, elle entrave le processus de transpiration et, donc, les mécanismes naturels de refroidissement du corps. La chaleur augmente alors rapidement dans notre organisme et met en danger le fonctionnement de nos organes vitaux.

Les effets de la chaleur sur l’homme dépendent également d’autres facteurs, tels que le moment, l’intensité et la durée de l’exposition à la chaleur. Dans le cas de la vague de chaleur qui sévit actuellement en Inde et au Pakistan, son intensité et surtout sa durée sont particulièrement élevées, donc d’autant plus difficiles à supporter par le corps humain. Les vagues de chaleur comme celle de mars-avril-mai 2022 en Inde ont donc des conséquences humanitaires majeures, provoquant crampes de chaleur, épuisement et hyperthermie (coups de chaleur / insolation) qui peuvent se révéler mortels dans certains cas extrêmes. 

Comme on peut l’observer sur le graphique ci-dessous, le nombre de décès directement liés au stress thermique a augmenté de manière significative, avec des vagues de chaleur de plus en plus sévères ces dernières années. Là encore, ces températures extrêmes ont un impact humanitaire direct sur plus d’un milliard de personnes, principalement dans les communautés les plus pauvres.  Des mesures d’adaptation à grande échelle pour toutes les classes socio-économiques doivent immédiatement être prises pour assurer une bonne qualité de vie à des centaines de millions de personnes.

Figure 1 : Evolution du nombre de décès liés aux vagues de chaleur en Inde (ministère de l’Intérieur – Gouvernement indien)

Cela deviendra-t-il la « nouvelle normalité » ?

La réponse est vraisemblablement oui, et probablement encore pire.

En termes de santé, les journées considérées comme « dangereuses » et « très dangereuses » se caractérisent par un indice de chaleur (combinaison d’une humidité relative et d’une température ambiante élevées) supérieur à 40 °C, pouvant correspondre à différentes formules. Une température de 32 °C et une humidité relative de 70 % donnent par exemple un indice de chaleur de 41 °C, tandis qu’une température de 40 °C et une humidité relative de 45 % donnent un indice de chaleur de 51 °C (4). L’indice de chaleur de 40°C représente un seuil au-delà duquel notre santé est menacée, notamment par des phénomènes de crampes de chaleur, d’épuisement et d’hyperthermie (5).

La carte ci-dessous indique le nombre moyen de « jours dangereux ou plus graves encore » dans le passé et pour l’année 2050. D’ici 2050, une grande partie de l’Inde risque de faire face à des difficultés sanitaires majeures, sans même parler des impacts sur l’agriculture, l’économie et le climat. Avec près de 19 millions d’habitants, et 20 millions de plus dans la zone urbaine étendue, Delhi devrait connaître une moyenne de 199 jours « dangereux ou plus graves encore » par an à l’horizon 2050, contre 74 jours par le passé.

Figure 2 : Nombre de jours « dangereux et plus graves encore » en Inde, dans le passé et en 2050 (AXA Climate)

Il est encore difficile de dire si cet épisode de canicule était plus intense et plus susceptible de se produire en raison du changement climatique, car les scientifiques s’efforcent toujours de trouver plusieurs causes aux conditions atmosphériques spécifiques entraînant ces chaleurs extrêmes : La Niña, la vague de chaleur arctique survenue en début d’année et le changement climatique. Cependant, grâce au rapport 2022 du GIEC (6), nous savons désormais qu’il faut s’attendre à des vagues de chaleur plus longues et plus fréquentes en Inde et au Pakistan.    

Quelles conséquences sur le climat ?

Les vagues de chaleur peuvent également influencer le changement climatique, dans une sorte de cercle vicieux.

Il est nécessaire que les entreprises anticipent les effets en cascade liés aux tensions entre l’offre et la demande sur le marché de l’énergie en raison de l’augmentation de la demande énergétique, comme cela a été le cas en Inde, où la demande d’énergie a été telle que les centrales électriques n’ont aujourd’hui plus assez de charbon pour faire face aux besoins. Une forte dépendance au charbon signifie que le changement climatique peut être encore exacerbé par les vagues de chaleur.

Quelles conséquences sur l’activité économique ?  

Les entreprises, notamment celles dont l’activité se situe à l’extérieur, comme l’agriculture ou le BTP, sont touchées très directement ; en effet, les températures excessives limitent les capacités physiques, donc la productivité. Les pénuries de main-d’œuvre dues aux vagues de chaleur sont particulièrement sensibles en Asie du Sud, de l’Est et du Sud-Est. C’est notamment le cas en Inde : selon une étude publiée en janvier 2022 dans la revue  Environmental Research Letters (7), on estime que 62 millions d’emplois pourraient être perdus chaque année pour la population en âge de travailler en raison des températures élevées. Si les chiffres varient selon les estimations (89), il n’en reste pas moins qu’une forte baisse est attendue.

Le secteur agricole est doublement impacté par les vagues de chaleur. Outre la réduction spectaculaire de la capacité de travail, le rendement des cultures a diminué de 10 % à 50 % en Inde, selon les études disponibles (10). Les récoltes de blé sont probablement perdues, en raison du flétrissement des grains à la suite des fortes chaleurs. S’il est encore trop tôt pour savoir comment la canicule affectera précisément les cultures, la capacité de l’Inde à exporter son blé est gravement touchée, le pays ayant récemment interdit ces exportations  (11) pour garantir sa sécurité alimentaire.

Bien d’autres secteurs d’activité sont eux aussi touchés : biens et services environnementaux, collecte des déchets, services d’urgence, entreprises de réparation, de transport, ainsi que toute activité industrielle dont les équipements ne permettent pas de faire face aux vagues de chaleur.

Au-delà de la perte directe de productivité, les effets en cascade des vagues de chaleur peuvent se révéler très onéreux pour les entreprises. Par exemple, une simple dépendance vis-à-vis de modes de transport et d’infrastructures vulnérables à la chaleur peut impacter significativement la continuité des activités et/ou les chaînes d’approvisionnement. Les industries qui dépendent fortement de l’utilisation de l’eau en circuit ouvert (dont une partie pourrait être redirigée vers la consommation humaine) doivent être en mesure de corriger et de transformer leur mode de consommation de l’eau.

Comment s’adapter à des températures extrêmes prolongées qui défient les limites physiques du corps humain et de l’environnement ?

La première mesure à prendre consiste à réduire massivement et rapidement les émissions de CO2 partout dans le monde, pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C et, par conséquent, la survenue d’événements extrêmes de ce type. Sans une forte atténuation, les mesures d’adaptation ne suffiront pas pour faire face à ces canicules de plus en plus fréquentes.

En parallèle, la planification de l’adaptation à la chaleur doit être intégrée par tous les secteurs, y compris les décideurs politiques locaux et nationaux et les entreprises, afin de réduire autant que faire se peut leur vulnérabilité.

Les mesures comportementales comprennent la formation de l’ensemble de la population au respect des protocoles de gestion du stress thermique : pauses, hydratation et détection des symptômes de stress.  

Les mesures institutionnelles doivent être mise en œuvre par les pouvoirs publics et par les entreprises pour assurer une bonne gestion du stress thermique : alerte précoce et plan d’action prédéfini en cas de vague de chaleur, couvre-feu pendant les heures les plus chaudes, aménagement des horaires de travail à l’intérieur comme à l’extérieur, codes vestimentaires et d’équipements, etc.

- Troisièmement, les technologies et les infrastructures peuvent être conçues de manière à fournir des installations adéquates, afin de minimiser les effets du stress thermique sur les particuliers et sur les employés. Au niveau des villes, les plans d’infrastructures peuvent être adaptés pour atténuer le stress thermique, en permettant par exemple la circulation naturelle de l’air autour des bâtiments. Améliorer l’efficacité des processus commerciaux et industriels, notamment en réduisant la consommation d’eau et d’énergie, peut également contribuer à limiter les conséquences des vagues de chaleur et la vulnérabilité des entreprises.

- Enfin, les solutions basées sur la nature peuvent lutter de façon rentable contre les effets d’îlots de chaleur urbains, avec de nombreux exemples dépendant des contextes locaux (plantation d’arbres, toits et façades verts, etc.).

Il est urgent de prendre des mesures d’atténuation et d’adaptation, car certaines régions du globe sont déjà en train de devenir inhabitables avec un réchauffement de 1,1 °C. N’attendons pas d’être à +2,2 °C pour agir !

Par :

Suzanne BOURGAULT, Climate Risk & Adaptation Consultant chez AXA Climate, suzanne.bourgault@axa.com
Mélodie TROLLIET
, Climate Risk Analyst chez AXA Climate, melodie.trollier@axa.com
Cartes et données historiques fournies par SRIVASTAVA, Morgane LECAM et Aniket JALGAONKAR,  spécialistes des données chez AXA Climate

Pour plus d’informations, vous pouvez contacter Suzanne BOURGAULT, Climate Risk & Adaptation Consultant chez AXA Climate, suzanne.bourgault@axa.com

 

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