Sir Robert Watson

Sir Robert WatsonAncien président du GIEC et de l'IPBES

1 avril 2019

La nature en danger : interview de Sir Robert Watson

Perspectives de l'ancien président du GIEC et de l'IPBES.

Biodiversité

Read time:4 minutes

Contenu original : Fonds AXA pour la Recherche
Sir Robert Watson est un expert de renommée internationale en changement climatique et biodiversité. Anciennement conseiller scientifique au ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales du Royaume-Uni, il a également été Président de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Son interview est reprise de la publication du Fond AXA pour la Recherche La biodiversité en péril : préserver le montre naturel pour notre futur (voir détail ci-dessous).

Quelle est l’ampleur de la perte de biodiversité ? La situation est-elle grave ?

Sir Robert Watson: Elle est vraiment grave. La disparition des espèces s’accélère. Le taux d’extinction atteint des niveaux dix à cents fois plus élevés que ceux de l’évolution naturelle. Dans le dernier rapport mondial de de l’IPBES (Global Assessment 2019), nous tirons la sonnette d’alarme : un million d’espèces sont menacées d’extinction, pour moitié des plantes et animaux et l’autre moitié des insectes. Cependant, si nous commençons à gérer efficacement la biodiversité, si nous protégeons vraiment nos écosystèmes, il n’est pas trop tard pour empêcher la plupart de ces disparitions. Cela signifie qu’il faut réduire les facteurs à l’origine de l’érosion de la biodiversité : la modification de l’utilisation des sols, la surexploitation des ressources, le changement climatique, la pollution, et la propagation des espèces envahissantes exogènes.

Nos données sont-elles fiables dans ce domaine ? Avons-nous des projections claires sur la diminution de la biodiversité ?

Sir Robert Watson: De nombreux travaux sont en cours. Nous savons dans quelle mesure nous avons transformé notre environnement et de quelles manières. Mais que va-t-il se passer dans les cinquante prochaines années ? Cela est difficile à évaluer et pour ce faire, nous avons besoin de modèles plus fiables. Pour bien prédire l’avenir, nous devons connaître l’évolution probable de la population, des richesses, de la consommation par habitant, des nouvelles technologies et des valeurs sociales. Mais la vraie question est : en savons-nous assez pour agir ? Et la réponse est : oui, tout à fait. Le manque de connaissances ne peut pas nous servir d’excuse.

En faisons-nous assez pour enrayer la perte de biodiversité ?

Sir Robert Watson: Nous devons clairement en faire davantage. Nous continuons à modifier l’utilisation des sols. La déforestation se poursuit dans certaines parties du monde, principalement dans les régions tropicales et subtropicales. La pollution atmosphérique et terrestre continue d’augmenter. Nous n’enregistrons des progrès raisonnables que sur quatre des vingt objectifs d’Aichi. Pour certains, la situation empire.

Quel est le rôle du secteur privé à cet égard ?

Sir Robert Watson: Il joue un rôle majeur. Les gouvernements peuvent mettre en place des politiques, mais c’est le secteur privé qui produit nos aliments, produit notre énergie, gère nos systèmes de transport et contrôle le tourisme. De nombreuses entreprises dépendent de la biodiversité : dans le secteur agroalimentaire bien sûr, mais aussi dans celui de la production d’aluminium ou encore d’électricité, qui dépendent de l’eau pour leur activité. La bonne nouvelle, c’est que certaines entreprises démontrent qu’on peut être économiquement viable, rentable pour ses actionnaires, tout en préservant les ressources naturelles. Le secteur privé doit se doter d’une vision à moyen et à long terme. Regardez Terre-Neuve dans les années 1990 : la surpêche était tellement exacerbée qu’il a fallu décréter un moratoire sur le cabillaud. Vingt ans plus tard, les stocks halieutiques ne sont toujours pas revenus à leurs niveaux historiques. Il faut du temps pour que les écosystèmes se rétablissent.

Vous avez mentionné le changement climatique comme vecteur de la perte de biodiversité ?

Sir Robert Watson: Avec le changement climatique, la pression sur la biodiversité s’accélère. Globalement, les zones sèches deviennent plus arides alors que les zones humides deviennent plus humides. Mais on assiste également à des changements dans les précipitations, qui entraînent des inondations ou des sécheresses, et des conditions météorologiques plus extrêmes, comme les canicules. De nombreux récifs coralliens des Caraïbes ont été détruits en deux décennies seulement par une poignée de puissants ouragans. Le fait est que nous devons considérer ensemble le changement climatique et la biodiversité. Ce ne sont pas des problématiques distinctes. Il s’agit dans les deux cas de questions environnementales, mais également de développement.

Qu’entendez-vous par questions de développement ?

Sir Robert Watson: Elles ont un impact sur la nourriture, l’eau, l’énergie, la sécurité : ce sont aussi des questions économiques. La perte de biodiversité a un coût économique réel. Les populations les plus pauvres sont les plus touchées par la perte de biodiversité et le changement climatique. Lorsque qu’on étudie ces écosystèmes (forêts, zones humides, prairies, mangroves), on découvre qu’ils jouent tous un rôle dans la fourniture de nourriture et de fibres, d’eau et de médicaments. Ils aident à contrôler notre climat. Au-delà de la disparition des espèces vivantes, des conflits locaux éclatent en raison de la perte de biodiversité et du changement climatique.

Dans quelle mesure êtes-vous optimiste ? Vous avez mentionné que nous pouvons stopper la perte de biodiversité, si nous agissons. Mais le ferons-nous ?

Sir Robert Watson: Nous continuerons de perdre en biodiversité et nous devons comprendre ce que cela implique. Comment allons-nous nous adapter à ces pertes futures ? Comment pouvons-nous mieux gérer notre agriculture, notre énergie, nos hydrosystèmes ? Nos progrès sont certainement trop lents, mais il est permis d’espérer qu’il nous reste assez de bon sens pour reculer au bord du gouffre, pour réaliser que continuer sur cette voie est économiquement stupide, socialement stupide et ne profitera à personne, ni aux riches, ni aux pauvres, ni aux classes moyennes.

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