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Pr Martin Brandt

Pr Martin BrandtProfesseur assistant de géographie à l’ Université de Copenhagen

19 avril 2021

Des milliards d’arbres cartographiés dans le désert grâce à des satellites et des supercalculateurs

Pour mieux comprendre l’état et l’évolution du couvert végétal, Martin Brandt, Professeur assistant de géographie à l’ Université de Copenhagen a relevé le défi d’associer images satellitaires et machine learning. Il nous explique comment et pourquoi, dans un article de The Conversation.

Contenu original : The Conversation, en partenariat avec le Fonds AXA pour la Recherche

Les zones arides et semi-arides sont à l’étude depuis longtemps, pour savoir si leur couvert végétal régresse. En effet, la théorie selon laquelle le Sahara s’étendait et la végétation ligneuse reculait a été émise pour la première fois dans les années 1930. Puis, la « grande sécheresse » des années 1970 au Sahel a mis l’accent sur la désertification causée par la surexploitation et par le changement climatique. Au cours des dernières décennies, c’est l’impact potentiel du changement climatique sur la végétation qui a été la principale préoccupation – et l’effet rétroactif de la végétation sur le climat, lié au rôle de la végétation dans le cycle global du carbone.

Pour mieux comprendre l’état du couvert végétal et son évolution dans des zones arides et semi-arides, nous avons récemment cartographié des milliards d’arbres et d’arbustes individuels en Afrique de l’Ouest. Un défi relevé en associant images satellites haute résolution et techniques d’apprentissage machine (machine learning), grâce à des supercalculateurs.

Trouver un arbuste dans le désert – depuis l’espace

Depuis les années 1970, la végétation dans les zones semi-arides du monde entier est cartographiée grâce à des données satellites. Les images disponibles sont soit de « hautes » résolutions spatiales (avec les satellites de la NASA, Landsat MSS et TM, et de l’ESA, Spot et Sentinel), soit de « moyennes ou basses » résolutions spatiales (satellites NOAA AVHRR et MODIS).

Pour analyser avec précision le couvert végétal à l’échelle continentale ou mondiale, il faut utiliser les images de la plus haute résolution disponible, avec une résolution d’un mètre ou moins. Jusqu’à présent, les coûts d’acquisition et d’analyse de ces données étaient prohibitifs et la plupart des études se sont appuyées sur des données de moyenne ou faible résolution, qui ne permettent pas d’identifier des arbres individuels. Ces études ne donnent donc que des estimations du couvert végétal agrégé et de la productivité, mélangeant de plus végétations herbacées et ligneuses.

Une nouvelle étude publiée dans Nature en octobre 2020, couvrant une grande partie de la zone semi-aride des Sahara, Sahel et Soudan en Afrique de l’Ouest, surmonte ces limites. En combinant une immense quantité de données satellites haute résolution, des capacités de calcul avancées au sein d’un supercalculateur, des techniques d’apprentissage automatique et de nombreuses données de terrain recueillies au fil des décennies, nous avons pu identifier des arbres et des arbustes individuels dont la surface de la couronne est supérieure à 3 m2 avec une grande précision. Le résultat est une base de données comprenant 1,8 milliard d’arbres dans la région étudiée, disponible pour tous les intéressés.

Supercalculateur, apprentissage automatique, données satellitaires et évaluations sur le terrain permettent de cartographier des milliards d’arbres individuels en Afrique occidentale.

Actuellement, ce travail est étendu pour couvrir la ceinture semi-aride au sud du Sahara à travers le continent africain jusqu’à la mer Rouge. Le nombre d’arbres cartographiés à ce jour est de 13 milliards, et la méthodologie est en cours d’amélioration. La couverture géographique devrait être élargie, d’abord au reste des zones semi-arides d’Afrique, puis à d’autres continents.

Pour couvrir l’ensemble de la zone sahélienne de l’Afrique, de l’Atlantique à la mer Rouge, nous avons utilisé environ 100 000 images satellites, soit un volume total de données de plusieurs centaines de téraoctets. Grâce aux superordinateurs de la NASA et de Blue Waters (Université d’Illinois à Urbana-Champaign), les images ont été assemblées pour créer une mosaïque continue. Les arbres ont ensuite été identifiés à l’aide de l’apprentissage profond, une technique d’intelligence artificielle dans laquelle l’ordinateur est entraîné à reconnaître des arbres individuels. Au cours de son entraînement, des dizaines de milliers d’arbres ont été « montrés » à l’ordinateur par un opérateur, qui a utilisé ses connaissances du terrain en combinaison avec ses compétences en matière d’interprétation d’images. Ensuite, les résultats de l’identification par la machine ont été vérifiés. Dans l’ensemble, la précision s’est avérée être fortement corrélée aux mesures sur le terrain.

Des informations inattendues sur les arbres individuels

Notre base de données d’arbres et d’arbustes contient des informations sur chaque arbre, sa localisation exacte (généralement avec une incertitude de quelques mètres), la taille de sa couronne, la date d’acquisition de l’image satellite sur laquelle il a été identifié, ainsi que des estimations de sa masse ligneuse au-dessus du sol et son contenu en carbone. À l’avenir, d’autres informations pourront être ajoutées, par exemple sa hauteur et sa phénologie, c’est-à-dire ses événements périodiques comme la feuillaison.

Les populations du Sahel semi-aride sauvegardent et promeuvent les arbres au sein des peuplements et des terres agricoles. La relation entre les humains et les arbres n’engendre pas toujours des pertes de couverture arborée.

Ce n’est que le début du projet de recherche, mais des implications importantes sont déjà évidentes. Dans l’étude ouest-africaine, nous avons trouvé beaucoup plus d’arbres que ce à quoi nous nous attendions. Alors que d’autres sources de données indiquent que les arbres sont quasiment absents du Sahara et de la zone nord-sahélienne, nous avons trouvé des centaines de millions d’arbres. Le stock de carbone associé à ces arbres serait plus grand et plus stable que les stocks de carbone dans la végétation herbacée. De plus, les arbres des terres agricoles sont généralement plus grands que ceux des savanes vierges, et la couverture arborée globale est élevée dans les zones peuplées ou exploitées. Cela montre qu’une forte densité de population humaine n’est pas toujours liée à une perte de couverture arborée, car les habitants du Sahel semi-aride protègent et encouragent les arbres dans les zones habitées et les terres agricoles.

À quoi servira la base de données ?

Cette base de données sert différents objectifs. Elle constitue une base de référence qui permettra d’étudier l’évolution temporelle de la végétation ligneuse à grande échelle, peut-être même aux échelles continentales ou mondiales.

Elle permettra aussi d’analyser les facteurs qui contrôlent la présence des arbres dans les zones arides, comme l’occupation humaine, les précipitations, les sols ou la géomorphologie. Ces informations alimenteront la modélisation des écosystèmes et du « système Terre », puisque les arbres jouent des rôles importants dans les interactions entre l’atmosphère et la surface terrestre, en contrôlant à la fois l’échange de carbone, l’évapotranspiration et la rugosité aérodynamique.

Enfin, les informations de la base de données pourraient être utilisées pour informer et soutenir les politiques environnementales aux niveaux national et international.

En savoir plus sur le projet du Pr Martin Brandt

Contrôler le budget carbone de l’Afrique : évaluer l’impact du changement climatique et de la déforestation

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Mots-clés:

Biodiversité
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