Alvaro PridaIngénieur hydraulique chez AXA Climate
28 mai 2021
7 minutes
La crue de 2019 a été l’une des plus importantes survenues dans le bassin du Mississippi au cours de ces dernières décennies. Elle a eu lieu après l’hiver météorologique (décembre 2018-février 2019) le plus humide jamais enregistré dans les États limitrophes pendant la période de référence 1895-2019, qui a entraîné des taux très élevés de saturation des sols et réduit leurs capacités d’infiltration. Le niveau des précipitations est resté au-dessus de la moyenne tout au long du printemps suivant, classé en cinquième position parmi les printemps météorologiques (mars 2019-mai 2019) les plus humides dans les États limitrophes pendant la même période de référence. Ces fortes précipitations, combinées aux importantes fontes de neige dues à la hausse soudaine des températures à la mi-mars, ont provoqué une élévation considérable du niveau des eaux et la crue de plusieurs sections du fleuve Mississippi et de ses affluents. Un phénomène qui a bouleversé le secteur du transport fluvial dans la région.
On observe des conséquences du changement climatique, dans le bassin du Mississippi, depuis les années 1970 (1). D’une part, les tempêtes y sont de plus en plus fréquentes, entraînant davantage de pluie et de chutes de neige. On estime que le taux de précipitations annuelles a augmenté de 20 % au cours des 50 dernières années. D’autre part, les températures moyennes augmentent lentement, accentuant la fonte des neiges et, par conséquent, le ruissellement. Ces deux facteurs sont à l’origine d’un ruissellement accru en surface, qui se déverse ensuite dans les principaux cours d’eau du bassin du Mississippi, contribuant ainsi à l’élévation plus fréquente du niveau des eaux.
Des études récentes ont par ailleurs mis en évidence qu’une augmentation de 2°C de la température mondiale, d’origine anthropique, devrait accentuer la gravité des cyclones tropicaux dans le bassin de l’Atlantique nord (2), et augmenter le niveau de risque composite dans le bas-Mississippi, puisque la fin de la saison des pluies (mars-juillet) coïncide en partie avec la saison des ouragans (juin-novembre). Si une violente tempête frappe le delta du Mississippi lors d’une saison particulièrement humide, les conséquences dans cette région pourraient être sans précédent.
Globalement, les conséquences du changement climatique sur les voies navigable sont très différentes selon les régions du globe. Dans certains cas, comme pour le Mékong (3), des événements intenses touchant le niveau des fleuves (qu’il s’agisse de crues ou de sècheresses) sont d’ores et déjà plus graves et plus fréquents. Ailleurs, comme dans les bassins du Rhône ou du Danube, les études montrent que c’est surtout à long terme que le changement climatique affectera le niveau des fleuves (4). Les niveaux d’eau devraient plutôt augmenter au cours des hivers hydrologiques (de novembre à avril) en raison de la hausse des précipitations et de la fonte précoce des neiges, tandis que les étés hydrologiques (de mai à octobre), avec des précipitations plus faibles et des débits réduits, pourraient correspondre à des périodes de sècheresse plus longues et plus sévères. Ces dernières années, le secteur de la navigation intérieure a déjà été lourdement affecté par des sècheresses fluviales de longue durée : en 2018, la sècheresse du Rhin a fortement perturbé la navigation entre les mois d’août et de décembre.
La crue de 2019 a touché 19 États et causé plus de 20 milliards de dollars de pertes, principalement dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et du transport fluvial de marchandises. Ce dernier est particulièrement vulnérable en cas d’élévation du niveau des fleuves, la vitesse du courant et les puissants remous à la surface de l’eau provoquant la perturbation, voire l’arrêt total de la navigation (5). Si le bateau se trouve déjà à flot lors de la crue, le transporteur devra louer un remorqueur pour ramener le bateau à quai, payer des frais d’amarrage plus lourds et continuer de rémunérer les pilotes pendant ce stand-by. Et si le bateau patiente à l’embouchure du fleuve, le temps d’attente au mouillage entraîne lui aussi des frais supplémentaires. Une longue attente génère souvent des dépenses additionnelles, car le bateau peut être contraint de lever l’ancre pour aller s’amarrer loin de l’embouchure, le temps que les conditions de navigation reviennent à la normale.
La largeur et la profondeur du Mississippi à son embouchure permettent aux navires de haute-mer de circuler entre Head of Passes et Bâton-Rouge (6). D’importants volumes de fret sont transportés sur cette section, ce qui rend la partie inférieure du fleuve très sensible aux risques engendrés par l’élévation du niveau des eaux. Au cours des inondations de 2019, la hauteur du fleuve à Bâton-Rouge s’est mintenue au-dessus des niveaux de crue pendant 211 jours consécutifs, battant le record historique de 135 jours atteint durant la crue de 1927 (schéma 1) et provoquant une baisse de 25 % du volume des marchandises transportées sur le Mississippi par rapport à la moyenne décennale (7).
Schéma 1. Comparaison des niveaux d’eau quotidiens à la Nouvelle Orléans (Louisiane) ces dernières années (7). En 2019, le niveau du fleuve à la Nouvelle Orléans est resté au-dessus du niveau de crue pendant plus de six mois, entravant la navigation sur cette section cruciale du Mississippi.
Légendes du schéma: Horizontalement, en haut : Moyenne 1990-2018 – Début de la saison des ouragans, 1er juin – One de tempête provoquée par l’ouragan Barry – Onde de tempête provoquée par l’ouragan Katrina. Verticalement, à gauche : Hauteur de l’eau, en m. (en pieds).
Dans la tradition de l’ingénierie fluviale, ce sont les digues qui sont censées assurer la protection contre les inondations, comme dans le bassin du Mississippi. Elles se sont cependant révélées inefficaces, car elles découpent le fleuve en petites sections, ce qui tend à élever les niveaux d’eau. Une alternative à cette approche consiste à combiner des techniques d’ingénierie, des plus radicales aux plus modérées, pour gérer à l’échelle régionale cette montée des eaux. Trois pratiques clés ont été mises en œuvre dans des pays rencontrant des problèmes de capacité en matière de transport fluvial, comme aux Pays-Bas : le déplacement des digues, la création de réservoirs jouant de rôle de zones-tampons et la mise en place de dérivations (8).
Preuve de la rentabilité de ces solutions inspirées par la nature, des chercheurs ont conclu que la réhabilitation des zones humides sur seulement 1,5 % d’un territoire pouvait réduire de 29 % les pics de crue, en termes de volume et de niveau d’eau maximum (9). Une approche régionale qui se révèle bénéfique non seulement pour les communautés riveraines, qui voient leur risque individuel diminuer, mais aussi pour les propriétaires privés (comme les entreprises de fret fluvial, par exemple), qui sont des acteurs clés du développement de l’économie régionale.
Dans le secteur des transports, la quantification du risque lié aux niveaux toujours plus élevés des fleuves et des rivières est essentielle pour pouvoir adapter les plans d’urgence d’une entreprise aux pires scénarios envisageables .Si l’association de techniques d’ingénierie dures et douce est une solution applicable à l’échelle régionale et qui exige plusieurs années pour être mise en œuvre, des alternatives existent à l’échelle locale, qui pourraient être opérationnelles à plus court terme. L’une d’entre elles est le transfert de risque via l’assurance paramétrique, qui assure une couverture financière en cas de dommages matériels ou d’interruption de travail. L’assurance paramétrique peut également couvrir les dépenses liées au déclenchement de plans d’urgence en cas d’inondation, comme la construction de protections temporaires ou le recours à d’autres moyens de transport (routier, par exemple) pour assurer la continuité de l’activité. De plus, la mise en place de services d’alerte pour anticiper la survenue d’événements extrêmes peut être très utile pour mieux coordonner et actionner les plans d’urgence et réduire significativement les impacts de ces événements.
Pour plus d’informations, contactez Alvaro Prida, Ingénieur hydraulique chez AXA Climate, alvaro.prida@axa.com
Cet article a été créé par AXA Climate. La page d’origine peut être consultée ici en anglais.
La version française est une traduction de l’article original en anglais, à des fins informatives exclusivement. En cas de divergences, l’article original en anglais prévaudra.
Sources:
Tropical Cyclones and Climate Change Assessment: Part II: Projected Response to Anthropogenic Warming,2020.