Karima SilventDRH, Groupe AXA
31 octobre 2021
Face aux difficultés, nous sommes tous les mêmes, nous sommes tous humains.
4 minutes
Un jour, la vie peut basculer. On peut être touchée de plein fouet par un évènement qui nous dépasse, une annonce qui nous sidère, un état qui nous meurtrit. Comment en sortir ? Comment accepter ce que l’on ressent ? Comment faire face au quotidien ? Comment demander de l’aide ?
Pendant longtemps, la société n’a eu d’yeux que pour les hommes et les femmes fort(e)s. Avouer sa ou ses faiblesses étaient hors des champs de pensée.
Heureusement, les temps changent. Les mentalités évoluent. On l’a vu avec la crise sanitaire, les transformations liées au monde du travail se sont accélérées.
Les confinements, le télétravail, le travail en mode hybride ont redessiné les frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Du jour au lendemain, nous avons vu le domicile de nos collègues, nous avons entraperçu les enfants qui passaient derrière l’ordinateur… Mais qu’avons-nous su exactement de l’isolement, de la solitude, de la souffrance, du manque de contact et de soutien ?
Bien évidemment, chacun a sa propre histoire, ses convictions, ses valeurs, son mode de vie. Néanmoins, face à l’inimaginable, ne pas se sentir seul est essentiel pour aider à tenir le cap, le cap de la vie. Rester la tête haute, ne pas s’effondrer, ne pas décevoir… Mais autant d’injonctions à respecter, est-ce possible ? Comment en effet rester productif, créatif, dynamique quand on lutte contre la maladie, quand notre santé physique et psychologiques sont fragilisées, quand notre santé mentale est en danger ? Comment aborder sa journée de travail quand, dans sa sphère privée, on est soutien de famille, aidant d’une personne malade, accompagnant d’une personne âgée ?
La Journée de l’aidant a d’ailleurs permis récemment de rappeler ces chiffres : 30 % des personnes en France sont des accompagnants, 60 % des aidants exercent aujourd’hui une activité professionnelle. Et, selon l’association de la Maison des aidants, 44 % des salariés aidants qui s'occupent d'un proche âgé déclarent avoir du mal à concilier vie professionnelle et vie privée.
Lorsque je travaillais dans le secteur de la santé et des maisons de retraite, j’ai vu leurs difficultés et parfois leur désespoir, avant de les vivre moi-même.
Nous sommes en février 2018, deux ou trois mois après ma nomination en tant que DRH du groupe AXA, j’apprends que ma sœur, âgée d’un an de plus que moi, a un cancer en phase terminale. Ma sœur vivait dans le Nord de la France ; je l’ai ramenée à Paris pour pouvoir m’occuper d’elle.
L’année 2018 fut extrêmement compliquée pour moi. D’une part, j’avais la pression d’une prise de poste à responsabilité et d’autre part, ma sœur était gravement malade, à l’hôpital.
Avec ma petite sœur et d’autres membres de ma famille, nous avons mis en place un système de relais marathonien pour être auprès d’elle, l’entourer de notre affection, et prendre en charge une partie de son quotidien. Dix mois se sont passés entre son hospitalisation et son décès. Cette période fut physiquement difficile et éprouvante psychologiquement. Au-delà du soutien de ma famille, je m’étais confiée à une ou deux personnes à l’époque, dont mon manager.
Épuisement, anxiété… J’ai beaucoup appris avec ce que j’ai personnellement vécu.
Ma pratique de la médiation est venue à ce moment-là. Le cerveau constamment en éveil et le stress étaient tellement forts pour moi que le seul moyen de faire face était de trouver une forme de soupape, un bol d’air.
Devoir jongler entre vie personnelle et vie professionnelle peut être insurmontable à certains moments de la vie.
Parler pour faire redescendre la pression subie lors de moments difficiles est, j’en suis convaincue, un premier pas indispensable pour être aidé.
Les événements que nous subissons, les difficultés que nous rencontrons, les deuils que nous vivons nous marquent profondément, ils nous prennent beaucoup de notre énergie, font vaciller notre santé physique et psychologique : je l’ai vécu.
Certes, mon histoire est semblable à beaucoup d’autres. Si j’en parle, c’est par ce que j’ai conscience du nombre de personnes dans l’univers du travail qui traversent ces mêmes difficultés, et qui parfois ne souhaitent pas ou ne peuvent pas se confier.
Ma conviction, c’est que chacun doit pouvoir se confier à une personne de confiance dans sa sphère privée mais aussi lorsque cela est possible dans sa sphère professionnelle. Plusieurs collègues d’AXA, de différents pays, ont d’ailleurs témoigné, avant moi, de leur expérience. Mais il n’y a pas de règle, c’est personnel. On peut ne pas vouloir évoquer sa situation ou partager ses émotions même si je suis certaine que parler peut aider, notamment à briser la solitude ressentie.
Libérer la parole, s’autoriser à se confier, trouver des moyens de se protéger… Chez AXA, des programmes d’aide dédiés au bien-être physique et mental ont été déployés pour l’ensemble des collaborateurs. En particulier des lignes d’aide psychologique confidentielles et indépendantes du management sont à disposition de tous dans tous les pays ; j’encourage chacun à ne pas hésiter à les utiliser. Au-delà de ces services d’écoute dédiés, manager, collègues, amis…, nous pouvons tous nous soutenir et être attentifs aux uns et aux autres.
Traverser une période douloureuse ne devrait pas rester un secret. Rencontrer des difficultés, ne pas se sentir toujours au top
, ne doit pas être une honte ou une source d’inquiétude sur sa performance ou son avenir professionnel.
Face aux difficultés, nous sommes tous les mêmes, nous sommes tous humains.