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Andrew Vigar

Andrew VigarDirecteur d’AXA XL pour le Japon

2 juin 2021

Pénuries d’eau : un risque sous-estimé

Le risque de voir s’épuiser nos réserves d’eau est sous-estimé par de nombreuses entreprises. Andrew Vigar, directeur d’AXA XL pour le Japon, nous en dit plus.

Contenu Original : AXA XL

Selon les dernières estimations, la demande d’eau à l’échelle mondiale dépassera de 40 % le volume des réserves d’ici 2030. Pour tenter de comprendre ce phénomène, il faut regarder de plus près quels sont les volumes d’eau nécessaires pour produire certains objets de grande consommation, ainsi que les taux de croissance prévus pour chacun d’entre eux :

  • Il faut environ 15 400 litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf. On estime qu’à l’horizon 2027, la production de viande bovine devrait augmenter de 21 % dans les pays en développement et de 9 % dans les pays développés.
  • 1 500 litres d’eau sont nécessaires pour cultiver le coton avec lequel est fabriqué un tee-shirt. La production mondiale de coton devrait augmenter d’1,5 % chaque année au cours de la prochaine décennie.
  • Fabriquer une seule puce d’ordinateur nécessite 38 litres d’eau. Le marché mondial des semi-conducteurs (dominé par des entreprises implantées en Asie de l’Est) devrait enregistrer une croissance annuelle composée de 4,7 % d’ici à 2027.

 Dans un monde de plus en plus prospère et peuplé, la manière dont les gouvernements, les entreprises et les particuliers exploitent – et préservent – nos réserves limitées d’eau est amenée à devenir un enjeu crucial pour l’humanité.

Hiérarchiser les risques liés à l’eau

Dans le Rapport sur les risques mondiaux (Global Risks Report, GRR) établi par le Forum Economique Mondial, les « crises de l’eau » se situent régulièrement dans le quadrant supérieur droit des risques ayant une probabilité et un impact forts selon les personnes interrogées. Cela n’a rien d’étonnant, étant donné le nombre des études publiées ces dernières années qui soulignent les multiples menaces pesant sur les réserves vitales d’eau.

Et pourtant, d’après mon expérience, les risques liés à l’eau ne figurent pas toujours en bonne place dans les plans de gestion des risques de nombreuses entreprises. Certains de mes clients sont très préoccupés par cette question – j’y reviendrai par la suite. Mais d’autres n’abordent pas les problématiques de la qualité ou de la raréfaction de l’eau avec l’attention et la réflexion que préconise le GRR.

Mes observations empiriques sont conformes aux études menées par AXA XL dans le cadre de son programme Valuing Water Initiative, dont l’objectif est de se pencher sur les risques liés à l’eau pour créer un monde plus sûr, en répondant aux besoins de ses clients et des communautés au sens plus large (cliquer ici pour en savoir plus). Lors d’une série d’entretiens et de tables rondes, les clients et les fournisseurs d’eau ont abordé la gestion des risques – présents et futurs - liés à l’eau, ainsi que la question de la résilience. Ils en ont notamment conclu que, tandis que certaines entreprises ont fermement pris position sur ces thèmes, d’autres commencent tout juste à prendre conscience que les pénuries d’eau qui s’annoncent pourraient affecter leurs activités. La première catégorie inclut les entreprises pour lesquelles l’eau est un élément essentiel de leur processus de production, le secteur agroalimentaire par exemple, tandis qu’elle n’est qu’accessoire dans le cas des autres.

Avant d’aller plus loin, je voudrais apporter une précision aux lecteurs qui pourraient contester le fait que les problématiques liées à l’eau sont souvent sous-estimées : je reconnais qu’en tant que professionnels de l’assurance/gestion de risques, nous sommes confrontés à un très large éventail de risques, de menaces et de dangers, alors que la population n’a accès qu’à un échantillon de ces derniers : c’est pourquoi nous devons établir des priorités. Cela dit, je suis convaincu qu’il vaut mieux gérer de façon proactive les risques liés à l’eau que d’attendre la survenue d’une crise de l’eau pour y répondre de façon réactive.

En quoi cela consiste une gestion proactive, en pratique ? D’après mon expérience, une entreprise impliquée dans la question de l’eau doit prendre trois grands engagements :

  1. Contrôler ses besoins et sa consommation d’eau.
  2. Etudier la possibilité de mettre en œuvre les « 3 R » : réduction de la consommation d’eau, remplacement de l’eau par d’autres sources et recyclage des eaux usées.
  3. Prendre en compte la manière dont la ville ou le pays dans lequel elle s’implante gère ses ressources en eau lors de l’implantation d’une structure.

Condition préalable : des données fiables et cohérentes

Le statisticien américain W. Edwards Deming a dit un jour : « Il ne faut croire qu’en Dieu, tous les autres doivent fournir des données. » Un adage qui reflète également la raison pour laquelle les risques liés à l’eau ne sont pas une priorité pour tout le monde : certaines structures manquent de données fiables et cohérentes sur le captage, la consommation et l’évacuation de l’eau.

Et pourtant, de nombreux services publics et privés d’approvisionnement en eau commencent à reconnaître l’importance de mieux faire comprendre aux utilisateurs commerciaux leurs modes de consommation et se mettent à travailler conjointement avec eux pour répondre à leurs futurs besoins.

L’Agence nationale de l’eau de Singapour (Public Utilities Board, ou PUB) a notamment étudié l’évolution de la consommation d’eau dans les quarante prochaines années. Selon ses conclusions, les usages commerciaux représenteront 70 % de la demande globale en 2060, contre 55 % aujourd’hui. Le PUB a donc mis en place une stratégie en trois temps pour aider les entreprises locales à mieux comprendre et résoudre les problèmes qu’elles rencontrent dans ce domaine. Tout d’abord, en facilitant les audits pour permettre à ces structures d’identifier les économies d’eau qu’elles pourraient réaliser. Ensuite, en créant différents fonds de financement auxquels elles pourront avoir recours pour couvrir une partie des frais liés à la mise en place de nouvelles technologies. Enfin, le PUB a reconnu l’importance de mettre en avant tous les succès dans ce domaine pour mieux diffuser et soutenir l’effort global. Le PUB présente régulièrement les applications innovantes mises en œuvre par différentes sociétés pour atteindre, même partiellement, l’objectif des « 3R ».

De plus en plus de nouvelles solutions sont conçues pour encourager les entreprises à mieux surveiller et gérer leur consommation d’eau. Par exemple, AXA XL travaille en collaboration avec le concepteur d’un système de surveillance de l’eau intégrant des capteurs connectés et des vannes d’arrêt intelligentes. Combinant intelligence artificielle, analyse avancée et cloud computing (informatique en nuage), ce système permet aux entreprises de mieux quantifier leur consommation d’eau tout en identifiant et en réduisant les fuites, souvent coûteuses, et le gaspillage.

Une problématique qui pèse de plus en plus lourd dans les décisions d’implantation

Dans notre économie mondialisée, les marques qui plafonnent en tête du secteur de l’agroalimentaire dépendent d’un réseau très densifié de fournisseurs dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire, qui les approvisionnent en diverses matières premières et composants. Pour ces fournisseurs, la question de savoir où implanter leurs activités dépend souvent d’un calcul complexe faisant intervenir de nombreux facteurs : accès aux matières premières et aux consommateurs, coût de l’immobilier et de la main-d’œuvre, réseaux de transport, etc…

Prenons un exemple concret : l’industrie des semi-conducteurs. Traditionnellement, les fabricants de semi-conducteurs privilégient trois critères lors du choix de leur site d’implantation : la proximité avec leurs plus gros clients, le faible coût de l’énergie et un accès sans restriction à l’eau. Il n’est donc pas surprenant, dans ces conditions, que les douze plus grandes wafer fabs (usines de puces électroniques) soient situées en Asie.

L’importance de ce dernier critère – l’abondance des réserves d’eau – provient du fait qu’en moyenne, une wafer fab utilise jusqu’à 15 millions de litres d’eau par jour ; l’eau doit être ultra-pure pour débarrasser les puces des produits contaminants, et il faut à peu près deux litres d’eau du robinet pour produire un litre d’eau ultra-pure… 

Toutefois, en raison de la concurrence acharnée et, dans certains pays, de l’allongement de la saison sèche, ces ressources en eau sont de plus en plus limitées. Mais comme dit le proverbe, « la nécessité est mère de l’invention » : les fabricants de semi-conducteurs implantés en Asie développent toute une gamme d’approches innovantes pour réduire/remplacer/recycler l’eau qu’ils utilisent. L’une d’entre elles consiste, par exemple, à réduire ce ratio 2-1 en décontaminant les puces grâce à des produits chimiques secs plutôt que liquides. Une autre approche repose sur le recyclage des eaux usées issues du processus de fabrication, qui peut s’avérer délicat car ces eaux usées contiennent souvent des métaux lourds et des composants organiques difficiles à éliminer. Enfin, de nombreuses entreprises de ce secteur collaborent avec des agences de gestion de l’eau, comme le PUB de Singapour, pour mieux gérer et préserver les réserves d’eau disponibles.

Ces initiatives, parmi beaucoup d’autres, sont les bienvenues car la relocalisation d’une water fab est toujours coûteuse en temps et en argent. Mais, dans d’autres secteurs industriels, les entreprises ont parfois davantage de flexibilité. Ces dernières années, par exemple, l’industrie textile s’est développée au Vietnam et au Bangladesh, notamment en raison de la relative abondance des ressources en eau. Sans nier qu’il s’agit là de décisions complexes, je pense qu’une société, lorsqu’elle envisage un site d’implantation, devrait aussi tenir compte de la manière dont un pays ou une ville gère la question de l’eau et encourage la résilience des entreprises dans ce domaine. 

Un exemple de tout premier ordre

Pour finir, j’aimerais citer brièvement en exemple une entreprise qui coche toutes les cases que je viens de mentionner. Pour des raisons de confidentialité, je ne donnerai pas son nom, mais il s’agit d’un conglomérat diversifié dont les activités recouvrent une large gamme de secteurs industriels partout dans le monde. Il y a quelques années, ce groupe a mis la « durabilité » au centre de ses objectifs, stratégies et opérations commerciales.

Cette décision implique, entre autres, de se fixer pour objectif la réduction du volume d’eau utilisé dans l’ensemble de ses activités et, plus précisément, de réduire la consommation d’eau par employé d’au moins 1 % chaque année. Compte tenu de la diversité des activités de ce groupe, cette approche est très judicieuse car elle lui permet de chiffrer concrètement les progrès réalisés en matière d’économie d’eau. 

Dans le cadre de ses activités extractives, cette entreprise s’appuie sur les nouvelles technologies pour optimiser la consommation d’eau nécessaire au traitement du minerai, tout en améliorant la collecte et le recyclage des eaux usées. Et dans la catégorie « défis et opportunités », elle a investi dans le secteur de l’eau en Asie, en Amérique latine, en Europe et au Moyen-Orient, notamment dans des entreprises d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées, ainsi que dans des usines de dessalement utilisant la technologie des membranes d’osmose inverse.

Je voudrais, pour conclure, féliciter toutes les entreprises engagées dans une gestion proactive des risques liés à l’eau. Et pour celles qui n’en ont pas encore fait une priorité, j’espère que les réflexions que j’ai partagées ici leur donneront des pistes pour aborder cette question complexe, mais absolument vitale.

La version française est une traduction de l’article original en anglais, à des fins informatives exclusivement. En cas de divergences, l’article original en anglais prévaudra.

À propos de l'auteur

Andrew Vigar est directeur d’AXA XL pour le Japon. Il a plus de trente ans d’expérience dans le domaine de l’assurance, principalement dans l’établissement et la gestion des opérations sur les marchés émergents, dont l’Europe centrale et l’Europe de l’Est, l’Amérique latine et l’Asie. Andrew a vécu et travaillé en Pologne, en Hongrie, en Autriche, en Suisse, à Hong Kong, à Singapour et au Japon. Il est diplômé de Littérature et Langue anglaises à l’université de Liverpool et titulaire d’un diplôme de troisième cycle en Politique environnementale de l’Open University. Il est l’auteur de haïkus ayant remporté des prix de poésie, ainsi que d’un ouvrage sur les estampes japonaises gravées sur bois de l’Ukiyo-e. Andrew est basé à Singapour et peut être contacté à l’adresse suivante : andrew.vigar@axaxl.com.

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