Hans StoterResponsable de Core Investments, AXA IM
31 mars 2022
6 minutes
La réduction des émissions de carbone étant désormais clairement inscrite à l’ordre du jour de nombreux gouvernements, il est temps que la COP adopte une approche holistique pour aborder correctement des enjeux environnementaux plus larges. Si la décarbonisation reste essentielle, il nous faut toutefois nous demander quel type de planète nous voulons sauver.
Dans sa forme définitive, le Pacte de Glasgow pour le climat, signé par près de 200 pays, va accélérer le rythme des actions en faveur du climat : on réclame désormais aux gouvernements de nouvelles Contributions déterminées au niveau national (CDN) en vue de la décarbonisation, en mettant l’accent sur l’horizon 2030, d’ici la prochaine COP qui se tiendra à Charm el-Cheik à la fin de l’année prochaine, alors que la publication de ces CDN était auparavant prévue pour 2025.
Et pour la première fois, l’accord comprend un programme de réduction de l’utilisation des combustibles fossiles – même si la version finale ne mentionne qu’un engagement à « réduire progressivement » la production d’électricité issue du charbon et non pas à « l’éliminer progressivement ».
Parmi les points les plus frustrants, on retiendra également l’absence d’engagement formel de la part de certains des plus gros émetteurs mondiaux à atteindre le net zéro d’ici 2050. Mais selon nous, il y avait déjà, dès le départ, un problème flagrant.
Le but officiel de la COP26 était de s’engager sur des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, de discuter des mesures d’adaptation aux impacts inévitables du changement climatique et d’augmenter le financement de l’action en faveur du climat. Des progrès notables ont été accomplis en ce sens.
Selon nous, les préoccupations environnementales plus larges n’ont toutefois pas été suffisamment prises en compte ; la COP26 n’a débouché sur aucun engagement international en matière de préservation de la biodiversité. Si la promesse de mettre fin à la déforestation d’ici 2030 est encourageante, la préservation des habitats naturels au sens large, y compris les océans, reste essentielle pour bien gérer le niveau de carbone dans l’atmosphère.
A la déception générale, aucune avancée n’a été constatée sur cette question, ni sur celles, pourtant cruciales, du gaspillage alimentaire (et donc du gaspillage d’eau, de terres, de combustibles et de pesticides inutiles), de la pollution plastique et de la gestion des déchets.
La réalité est pourtant cruelle : d’ici 2050, il y aura davantage de plastique que de poissons dans les océans1. La masse totale des matières plastiques représente deux fois celle de tous les mammifères réunis, et 80 % du plastique jamais produit se retrouve toujours, à l’heure actuelle, dans l’environnement2. Les déchets plastiques ne sont pas seulement ingérés par la faune marine, notamment par les poissons : l’être humain mange lui aussi environ 5 grammes de plastique par semaine, soit l’équivalent d’une carte de crédit3. Au total, jusqu’à un million de personnes meurent chaque année de la pollution plastique4.
On peut affirmer sans exagérer que les pollution plastique pourrait, à terme, atteindre le même niveau de nocivité que les émissions de carbone ; et pourtant, force est de constater qu’elle n’attire pas autant l’attention.
Ce désintérêt provient en partie du fait que ce problème est considéré comme relevant d’un futur lointain – un peu comme le changement climatique, d’une certaine manière, mais bien moins urgent. Et ce n’est pas un sujet qui fait gagner des voix électorales : essayez de vous rappeler la dernière fois que vous avez entendu un homme politique parler de pollution océanique… C’était probablement en réponse à des images bouleversantes de faune et de flore saturées de mazout et de plages souillées après une marée noire ; la nécessité d’agir, dans ce cas, est évidente, immédiate, et intensément relayée par les médias.
Il s’agit là, pourtant, de cas idiosyncrasiques qui reflètent très mal l’ampleur réelle du problème auquel nous devons faire face. Les dommages infligés par le plastique aux écosystèmes marins représentent chaque année un coût de 13 milliards d’euros, et entraînent environ 630 millions d’euros de pertes pour le tourisme et les populations du littoral européen5.
Et cela ne fera qu’empirer. Selon les estimations de la Banque mondiale, les déchets solides municipaux vont doubler d’ici 15 ans sur l’ensemble de la planète, en raison surtout des objets à usage unique fabriqués en plastique (bouteilles, ballons, sacs, emballages…).
Il est grand temps que la COP adopte une approche holistique pour élaborer une réponse pertinente à ces préoccupations environnementales plus larges. Acceptons-nous que la planète et tous ses habitants (qu’ils soient marins ou humains) meurent étouffés par les déchets plastiques ? Même si nous réussissons à maintenir le réchauffement climatique en deçà de 1,5°C, en ignorant cette question nous nous rendrons compte trop tard que nous avons transformé la Terre en dépotoir.
C’est dès maintenant qu’il faut adopter une vue plus large pour obtenir des engagements en faveur de la biodiversité et de la réduction des déchets, notamment les engrais, les produits chimiques toxiques et les matières plastiques : cette responsabilité ne doit plus être laissée à d’éventuelles conférences ultérieures. Il est vital d’agir sans délai. La COP est la seule organisation possédant l’envergure, l’influence au niveau mondial et la vision à long terme nécessaires pour progresser significativement sur une question qui a trop longtemps été laissée à l’arrière-plan par les gouvernements. Elle doit désormais être au cœur des discussions, sans perdre une autre année et une autre COP, avant que nos océans et nos rivières ne finissent par représenter une menace pour la vie sur Terre.